Accompagner les temps de la jeunesse : entre proximité et ouverture
Les structures jeunesse : des acteurs incontournables dans les quartiers populaires.
Les structures jeunesse sont des acteurs incontournables dans les quartiers populaires : primordiales pour la plupart des jeunes qui ont participé à la recherche, et leurs parents, elles apparaissent également au cœur des enjeux des politiques locales. Elles recouvrent une multitude de configurations et de modalités d’offres d’activités sportives, culturelles et de loisirs en direction de la jeunesse. Parmi celles-ci, nous avons fait le choix d’aborder ici les structures généralistes, associatives ou municipales, qui, en dehors des activités proposées, permettent un accueil plus général. Physiquement et symboliquement, elles sont très intégrées au quartier. Ainsi, pour les jeunes qui les fréquentent, elles font partie intégrante du paysage comme de la sociabilité du quartier et deviennent pour certain·es, et très tôt, des lieux incontournables, ne serait-ce que parce qu’ils et elles passent quotidiennement devant. Ces structures fonctionnent de manière ouverte et permettent une fréquentation libre. Si elles s’apparentent à des espaces clos, leurs actions débordent souvent le cadre de la structure ; les jeunes les traversent, en investissant l’intérieur, l’extérieur, les abords, les seuils de manière concomitante.
On observe ainsi une porosité entre ces lieux et le quartier, porosité qui se retrouve dans les publics, les pratiques, les normes de fonctionnement, et les professionnel·les, qui souvent, viennent eux-mêmes du quartier ou de la ville. Mais loin de fonctionner uniquement par et pour le quartier, ces structures et les adultes qui les animent sont aussi des portes ouvertes vers l’ailleurs.
Les structures jeunesse dont nous ont parlé les jeunes sont pleinement intégrées dans le quartier et dans ses sociabilités. Elles offrent une certaine liberté d’entrée et de sortie qui correspondent bien à la période d’autonomie et d’expérimentation de la jeunesse. Des profils particuliers d’usagers, aux expériences différentes, se dessinent alors.
Des carrières de fréquentation
Les jeunes fréquentent ces structures de manière différenciée, selon leur sexe, leur âge, leur insertion dans le quartier, l’influence (familiale ou amicale) dont ils ont bénéficié, leurs attentes, etc. Ainsi, les niveaux de fréquentation (très assidue, ponctuelle ou perlée) et les motifs de fréquentation varient. Certains « traînent » dans les locaux et n’y font rien de particulier, puis, à l’occasion d’une sollicitation, peuvent participer à des projets. D’autres y viennent dans un but bien précis. L’analyse de l’offre dessine aussi des carrières de fréquentation des jeunes, modelées par le découpage institutionnel, en fonction de l’âge notamment. Les jeunes peuvent alors mettre en place des stratégies pour jouer et s’arranger avec ces bornes, en s’inscrivant par exemple juste avant la fin de l’âge réglementaire de fréquentation et rester ainsi plus longtemps dans des structures dans lesquelles ils ou elles ne devraient plus être. À l’inverse, certaines structures sont délaissées car elles ne proposent que des activités pour les petit·es, et les quitter (pour en fréquenter d’autres ou non) permet de signifier son accès au statut de grand·e, même si c’est parfois à regret.
Les carrières sont également influencées par les objets des associations et les besoins des jeunes en fonction de leurs trajectoires scolaires et professionnelles. Il semble ainsi y avoir quelques carrières idéal-typiques, les jeunes passant successivement par différentes structures (centre de loisirs, ludothèque, structure d’aide aux devoirs, association sportive et / ou culturelle, maison de quartier…) ou les fréquentant en même temps.
Les jeunes ont ainsi une connaissance fine de l’offre dans le quartier (et dans la ville), connaissance qu’ils acquièrent par l’expérience, le réseau amical, familial ou associatif. Ils sont en capacité de dresser une carte précise des structures existantes et de ce qu’elles peuvent leur apporter. Cette connaissance est bien évidemment inégalement partagée. Elle concerne celles et ceux dont la sociabilité s’est effectuée essentiellement à l’intérieur du quartier.
Des structures inscrites dans des sociabilités de quartier
Les structures sont pleinement intégrées dans la vie et les sociabilités de quartier. En cela, on y retrouve des modes d’organisation qui modèlent les relations entre jeunes (filles / garçons ; grands / petits).
La fréquentation des lieux d’accueil est très liée au groupe de pairs : les jeunes s’y rendent sur les conseils d’un copain ou d’une copine, qui en vante l’ambiance ou les projets. Si les garçons peuvent venir seuls dans une structure, pour « se poser » ou participer à une activité, les filles se déplacent plutôt en groupe et / ou s’y rendent si elles sont assurées d’y trouver une ou des amies. À Aubervilliers, une jeune fille n’avait ainsi jamais osé fréquenter l’OMJA (Organisation en mouvement des jeunesses d’Aubervilliers) qu’elle assimilait à un lieu pour les garçons « de la Mala » (quartier de la Maladrerie).
Comme dans l’espace public du quartier, se mettent alors en place des stratégies d’évitement de lieux jugés ou supposés comme trop masculins ou même parfois trop insérés dans la vie de quartier. Ainsi, des jeunes filles du 19e arrondissement fréquentent le LAI (Lieu d’accueil innovant), dans le 18e arrondissement de Paris, pour échapper aux regards des garçons de leur quartier. Bien évidemment, ceci est possible dans les espaces où l’éventail de l’offre est important.
Si l’on vient dans ces structures grâce ou avec des ami·es, on s’en fait aussi. Ensuite, on se suit d’une structure à l’autre. À côté du groupe de pairs, la famille apparaît également très importante dans la façon dont on entre et dont on se maintient dans ces structures : on y va car son grand frère ou sa grande sœur y sont allé·es ; on a cessé de fréquenter la maison de quartier ou la ludothèque mais on y accompagne toujours ses petits frères et sœurs ; on s’y rend sur l’incitation de sa mère, elle-même éventuellement conseillée par l’assistante sociale.
Un espace de proximité et de protection
La forte insertion des structures jeunesse dans le quartier se lit également dans l’attachement quasi familial que certains développent avec les lieux. La rhétorique de la famille est en effet largement mobilisée par les jeunes pour les caractériser. On y va depuis tout petit, on y a grandi, on y connaît tout le monde. Un jeune de Nanterre estime ainsi que l’association d’accompagnement scolaire, éducatif et culturel Zy’va a été son « berceau ». Une structure jeunesse peut être une deuxième maison, là où l’on va retrouver des figures d’attachement, qui jouent un rôle quasi paternel ou fraternel.
La porosité quartier / famille / structure jeunesse explique que les jeunes s’y sentent bien, comme chez eux finalement, et que les parents leur accordent une grande confiance et confient leurs enfants en toute quiétude. Ces espaces, et les professionnels qui y travaillent, apparaissent alors comme des figures protectrices et enveloppantes, qui vont permettre l’accès à des formes d’autonomie encadrée, notamment pour les filles. C’est ainsi souvent grâce aux structures jeunesse que les jeunes dorment à l’extérieur de chez eux, campent, voyagent pour la première fois.
C’est également là que des activités mixtes peuvent perdurer, même à un âge où les groupes de pairs apparaissent très séparés.
Enfin, dans une moindre mesure, ces espaces peuvent protéger de l’exposition à des situations violentes ou inadaptées à des enfants.
Un profil privilégié de jeunes qui fréquentent les structures jeunesse se dessine alors : des jeunes inscrit·es dans une sociabilité de quartier importante, sociabilité permise voire encouragée par les familles.
Inscrites dans un monde social des quartiers populaires partagé par les familles, les jeunes, et les professionnels, elles constituent à la fois des espaces de protection et des espaces d’ouverture. En sont exclus les jeunes qui ne développent pas de sociabilité attachée au quartier, ou qui, d’eux-mêmes ou du fait de leurs parents, veulent se mettre à distance du quartier. A contrario, la plupart des jeunes de la recherche ont grandi avec ces structures. Quand ils font l’expérience d’autres mondes sociaux (via les études supérieures par exemple), y revenir leur permet alors de retrouver un espace et des codes familiers.
Les professionnel·les : des figures d’attachement et d’identification
Certains jeunes, notamment les plus assidus, tissent des liens très forts avec les animateurs des structures. Ils et elles en gardent un excellent souvenir, prennent toujours un grand plaisir à les croiser dans le quartier et à discuter avec eux de leurs projets. Les animateurs, qui font partie des grands ou des anciens du quartier, ont parfois été leur porte d’entrée dans les structures, notamment par leur circulation entre différents espaces professionnels de la ville et/ou du quartier : c’est le cas d’un jeune de Pantin qui s’est investi dans le Lab, l’espace jeunes municipal, car il y a retrouvé son animateur périscolaire, connu à l’école maternelle puis élémentaire.
Les liens perdurent et dépassent parfois le cadre de la structure jeunesse qui les a permis, notamment lorsque les jeunes ont dépassé l’âge. C’est ainsi que certains professionnels s’investissent dans des associations pour continuer à travailler avec eux. À Saint-Denis, les espaces jeunes sont théoriquement destinés aux 12-17 ans. De nombreux jeunes continuent cependant à venir saluer les animateur·rices, et parfois à les suivre sur d’autres projets.
Enfin, à côté des animateurs, on trouve des intervenant·es qui gravitent dans et autour des structures et qui peuvent embarquer les jeunes dans des projets, et nouer des liens forts avec eux. À Corbeil-Essonnes, un vidéaste propose depuis plusieurs années des projets aux jeunes au sein de la maison de quartier et a permis à certain·es d’acquérir de nombreuses compétences audiovisuelles.
Les professionnel·les : des passeurs vers l’extérieur
Les structures dont il est ici question permettent aux jeunes de découvrir des loisirs (piscine), des sports (plongée), des activités (Parc Astérix) ou des pratiques culturelles (théâtre, vidéo, danse…) que leurs parents ne sont pas en capacité de leur offrir, par manque de ressources, financières comme sociales ou culturelles. Elles leur apportent également une ouverture vers d’autres espaces, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou internationale, par le biais de séjours courts ou longs. La liste des villes, régions et pays visités par les jeunes ressemble alors parfois à un véritable catalogue d’agences de voyages.
Enfin, les professionnel·les ont également un rôle politique. Ils et elles participent en effet à la formation ou au développement de la prise de conscience et de l’engagement politique et citoyen des jeunes, que ce soit par le biais de projets spécifiques, ou dans le cadre de relations ordinaires, de discussions.
Une telle réflexion citoyenne débouche parfois sur un engagement politique, caritatif (maraudes) ou associatif, qui peut s’exprimer à l’intérieur même de la structure. Les plus grand·es aident alors les petit·es pour des activités dont ils ont eux-mêmes bénéficié.
Le cheminement permis par ces relations fortes peut également aboutir à la création d’associations avec les jeunes, qui quittent ainsi le statut d’usager de structures jeunesse pour devenir acteurs d’un projet associatif, dans une logique de réciprocité par rapport à ce qu’ils ont reçu. Ainsi, plusieurs jeunes qui ont eu l’occasion de partir en vacances familiales organisées par AClefeu à Clichy-sous-Bois, sont devenus par la suite des encadrants de ces séjours.
Le rôle éducatif des professionnel·les apparaît comme primordial, même s’il est parfois méconnu ou peu reconnu des pouvoirs publics. Les jeunes, eux, en ont bien conscience et identifient clairement ce rôle ; cela se traduit notamment par l’emploi du terme « éducateur » pour les désigner. Mais dans ce cadre non contraint nécessitant la libre adhésion du jeune, le travail d’accompagnement doit se construire à partir d’un lien de confiance, de reconnaissance mutuelle pour être légitime. Or la diffusion et la généralisation de la logique projet ont modifié en profondeur le travail des professionnels mais également le discours des jeunes. La nécessaire contractualisation qui accompagne cette logique place au second plan le travail de lien noué au quotidien et de long terme réalisé par les animateurs, et interroge alors le sens de leurs missions. Les professionnels doivent en effet, par le projet, prouver leur plus-value, montrer qu’ils ne font pas que reproduire les modes de sociabilité ordinaires des jeunes qu’ils accueillent (jouer au babyfoot ou au ping-pong, discuter, aller voir un film au Gaumont…). Dans ce cadre, les jeunes deviennent un public qu’il faut capter, enrôler et garder, dont il faut garantir l’engagement, et à qui l’on doit proposer des activités qui permettent de se démarquer de la concurrence, ce qui peut mettre certains professionnels en difficulté.