Pantin
Pantin est une commune de 57 000 habitants située au Nord-Est de Paris dont elle est limitrophe, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Son territoire reste profondément morcelé par des infrastructures construites au cours des deux derniers siècles pour défendre, alimenter et délester Paris, tandis que son histoire ouvrière s’efface doucement au fur et à mesure que les friches industrielles sont requalifiées et réinvesties par la nouvelle économie créative.
Une ville morcelée : « les gens se voient pas »
« Il y a le coin du canal, Les Pommiers, Les Courtillières, Quatre chemins… Les gens se voient pas, se parlent peu, se côtoient peu lorsqu'ils fréquentent pas les mêmes lieux, lorsqu'ils font pas partie des mêmes groupes sociaux. » [Les citations sont extraites des ateliers collectifs ou des entretiens réalisés avec les 120 jeunes ayant participé au projet Pop-Part entre 2017 et 2021. Elles ont été anonymisées.] À Pantin comme ailleurs, les clivages géographiques recoupent des clivages sociaux et même raciaux si l’on se fie à la lecture qu’en font les jeunes : « Plus tu montes dans Pantin, plus la population est blanche (…) et plus tu descends, t’arrives aux Courti et, là, t’as que des Noirs, un peu des Arabes. » Les coupures sont d’abord physiques : le Nord et le Sud de la ville sont séparés par l’emprise du canal de l’Ourcq et par celle de la voie ferrée, prolongée par les centres de maintenance de la SNCF et de la RATP. Les voies de franchissement y sont peu nombreuses alors même que la ville est bien desservie par les transports en commun. Ces deux infrastructures sont redoublées au Sud et au Nord par deux quatre-voies inhospitalières qui empruntent les tracés respectifs des anciennes nationales 4 et 2, cette dernière séparant Pantin d’Aubervilliers. Au Nord, le Fort d’Aubervilliers et les 107 hectares du plus vaste cimetière de France — le cimetière parisien de Pantin — isolent du reste de la ville un grand ensemble d’habitat social, les Courtillières, célèbre pour son serpentin de plus d’un kilomètre de long, conçue par l’architecte Emile Aillaud : « Quand je regarde la carte de Pantin je vois bien qu'on est délaissé. Tout est relié, sauf les Courtillières. » Les jeunes qui n’y résident pas n’y vont jamais : « Le serpentin, j'y suis jamais rentré dedans » ; « Un habitant des Pommiers n’ira pas aux Courtillières ».
Cette morphologie urbaine abrite des quartiers socialement contrastés. Au Nord, les Courtillières, dépourvues de commerces et les Quatre chemins, quartier d’habitat ancien dégradé et à forte centralité commerciale populaire : « Quatre chemins, c’est plus animé que Les pommiers ! À 4 chemins y a tous les commerces. Tu sors à 23h, t’as faim, tu peux t’acheter un grec ; y a la pharmacie qu’est ouverte 24h/24, le boulanger pareil. » Au début de la recherche, c’est le quartier qui concentre les préjugés de ceux qui n’y habitent pas et qui l’appréhendent au prisme du « Marlboro bled » : « c’est négatif, on va pas se mentir », tandis que ceux qui y résident en soulignent les attraits : « C’est bien, on dirait le bled » ; « Ça a son charme » ; « C’est chaleureux ». Les jeunes s’accordent sur sa qualité première : « il y a beaucoup d’échanges et d’entraide qu’il n’y a pas à Église de Pantin ». Les quartiers centraux – Hoche, Mairie, Église de Pantin – dans lesquels résident quelques-uns des jeunes, bordent le canal. Socialement plus mélangés, ils sont en cours de gentrification rapide. Les jeunes les qualifient de « sécurisés », « agréables », « calmes », voire « trop calmes ». Enfin, au Sud, sur les collines, deux cités populaires – celle des Auteurs et celle des Pommiers – où réside l’un des jeunes participants, font partie de l’ensemble de la cité jardin qui s’étend sur une partie du Pré-Saint-Gervais et des Lilas. Face à cet éclatement, tous les jeunes de la recherche font état de leur investissement dans un ensemble de pratiques culturelles, sportives et de loisirs initiées et encadrées par la commune. Celles-ci attestent que les politiques et les équipements municipaux, auxquels concourent certaines associations, s’emploient à fabriquer du commun. C’est ainsi que les animateurs du Lab’, espace jeunes municipal partenaire de la recherche, s’emploient à associer des jeunes de toute la ville.
Une ville en mutation rapide : « c’est le nouveau Brooklyn ! »
Depuis le milieu des années 2000, la commune de Pantin connaît des transformations urbaines de grande ampleur qui s’inscrivent dans deux dynamiques différentes. Les quartiers des Courtillières et des Quatre Chemins ont été inscrits dans le programme national de rénovation urbaine tandis que les quartiers centraux situés le long du canal de l’Ourcq ont fait l’objet d’une politique de requalification urbaine et d’un aménagement des berges du canal. Des bâtiments industriels en friche (les Grands Moulins, les Magasins généraux…) ont été réhabilités et reprennent vie, des entreprises s’installent, des équipements culturels (Centre national de la danse, Théâtre au fil de l’eau) sont implantés, de nouveaux immeubles de bureaux et d’habitation sortent de terre, de nouveaux cafés ouvrent, tandis que l’espace public est entièrement revalorisé. Le renouvellement de l’image de la ville est ainsi marqué par une rénovation en profondeur du parc de logements de ce secteur et l’implantation d’entreprises de la finance (BNP Paribas), de la publicité (BETC), du luxe (Hermès) ou du monde de l’art (Galerie Thaddaeus Ropac) : « On veut une nouvelle image de Pantin, Pantin plus riche, comme on voit dans les médias, Brooklyn, Pantin bobo. »Face à ces dynamiques de gentrification résidentielle et commerciale, les jeunes s’interrogent sur leur place dans la ville et sur leur devenir.
Composition socio-démographique de Pantin
[Source : Insee, données du recensement 2017. Traitement au niveau des Iris pour les quartiers et la commune.]
La frontière entre Paris et Pantin devient plus poreuse : « On agrandit Paris »
« C'est le nouveau Brooklyn. Ça amène de nouvelles populations qui font que la population déjà en place... Qu'est-ce qu'on fait nous ? » Les jeunes perçoivent les dynamiques de changement urbain du centre de la ville comme porteuses d’un risque de fracture sociale qui menace le maintien des classes populaires auxquelles ils appartiennent pour l’essentiel. Ils ont, par exemple, une conscience aiguë de l’augmentation des prix du foncier et des loyers : « C’est bien les trucs Hermès qui apparaissent dans Pantin, même les nouveaux bâtiments, mais ça crée une hausse des loyers, c’est des marques de luxe, c’est connu, on habite à côté, donc les loyers augmentent. » Certains d’entre eux en ont fait l’expérience directe : « On habitait un logement HLM à Raymond Queneau au Petit Pantin, et on a voulu rester à Pantin, donc on avait priorisé les nouveaux bâtiments parce qu'au fond, même si on savait que ça allait être compliqué, autant tenter sa chance (…) On sait aujourd'hui que le canal pour y habiter, c'est pas pour nous... » Les jeunes se vivent comme en sursis dans leur ville et appréhendent l’éloignement forcé vers des lieux de vie toujours plus éloignés : « Si je peux acheter, j’achèterai à Pantin. Après, si Pantin prend la grosse tête, bah, j’serais obligé de… Si Pantin devient Paris et si Pantin prend la grosse tête sur les prix, bah, on sera obligé d’aller ailleurs, c’est sûr. »
Les jeunes se montrent néanmoins sensibles à la nouvelle esthétique urbaine du centre-ville : « C’est beau quand même. Moi, j’arrive sur le canal : je suis content de voir ça. » Les nouveaux aménagements des rives du canal de l’Ourcq et la requalification du centre rendent la frontière entre Paris et Pantin plus poreuse : « On agrandit Paris » dit joliment l’un d’entre eux. Cette porosité se révèle aussi dans le lapsus qui dit l’aspiration au mode de vie qui se déploie dans les bars branchés situés le long du canal : « Ça fait bobo maintenant Paris… Pantin, pardon. Moi j’adore ça hein (...) Dès que je peux, j’y vais quoi (...) J’trouve ça cool, mais… J’sais pas… Y’a que des babs, tu vois ? Y a que des babtous ! » L’incertitude de savoir si les jeunes pantinois ont pleinement leur place dans ces nouveaux lieux se trouve réactivée à travers la prise de distance contenue dans la qualification racialisée qui est mobilisée pour décrire ceux qui les fréquentent. De fait, tous n’ont pas les moyens d’en profiter pleinement : « Si on va dans les bars, genre celui du BETC, c'est réservé aux salariés je trouve, si tu veux prendre une pinte là-bas, c'est pas accessible à des étudiants, tu vas y aller une fois et pas deux. C'est accessible dans l'espace public, mais pas dans les lieux de sociabilité. »