Le métier d’animateur : hier, aujourd’hui, demain…
« Les structures jeunesse ont toujours été attendues comme instrument de pacification dans le quartier. Mais par quels mécanismes ? »
Qu’on soit issu du quartier où l’on travaille ou qu’on y soit arrivé dans le cadre de son parcours professionnel, le BAFA est aujourd’hui, comme hier, la porte d’entrée pour devenir animateur. Le BAFA offre une opportunité pour ceux qui quittent le système scolaire avant le bac, ou qui ne trouvent pas dans l’enseignement supérieur une voie qui leur convient. Mais si cette opportunité a toujours existé, lorsque nous avons démarré il y a 30 ans, c’était une opportunité parmi d’autres. Ceux qui voulaient vraiment faire ce métier s’en saisissaient, pas les autres. Aujourd’hui, il nous semble que les possibilités d’emploi se réduisent. De nombreux jeunes deviennent animateurs, parfois par défaut. Mais hier comme aujourd’hui, cette porte permet de poursuivre un parcours de formation dans l’éducation populaire. La valeur de ces diplômes – comme le BAFD (Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur) ou le DEFA (Diplôme d’État relatif aux Fonctions d’Animation) – est peut-être moins reconnue aujourd’hui mais pour de nombreux professionnels de notre génération, ils ont permis une véritable progression dans l’apprentissage du métier et dans sa carrière professionnelle.
Le recrutement d’animateurs issus du quartier dans lequel se situe la structure jeunesse reste important. Cela permet de travailler en confiance avec les jeunes et les familles, mais cela ne suffit pas pour en faire des professionnels. La formation est indispensable mais ce qui est fondamental, c’est l’accompagnement dans l’exercice du métier : l’encadrement, la transmission des fondamentaux, du sens du travail, des postures, etc. Le travail d’équipe est également une ressource, et la diversité des équipes est indispensable pour bénéficier de différents regards. Certains animateurs se spécialisent dans des domaines qui les passionnent, d’autres restent généralistes et travaillent avec des intervenants extérieurs. C’est cette diversité et les échanges qui créent la richesse du métier.
La militance qui existait au sein de l’éducation populaire s’est un peu perdue. Pour nous, elle était au principe même du métier : donner de l’autonomie au jeune, ne pas être dans une posture surplombante… Une vision politique du monde y était rattachée, une ouverture vers les questions de justice sociale. Mais ne redorons pas le passé : tous les collègues de notre époque n’étaient pas animés de ces idéaux, et aujourd’hui, peut-être que les jeunes ont moins besoin des structures que nous leur proposons pour s’engager : ils créent eux-mêmes leurs associations, leurs réseaux, et parfois avec un niveau de qualité qui nous impressionne. Pendant le premier confinement au printemps 2020, ils nous ont impressionnés par la réactivité, l’organisation et l’efficacité dont ils ont fait preuve. Et puis les modes d’engagement ont également changé : c’est peut-être plus des « one shot » et un engagement de terrain.
Mais ce qui a évolué, c’est peut-être moins les jeunes que la société elle-même : les réseaux sociaux qui battent leur plein, l’individualisme, le consumérisme… Le métier change forcément parce que le contexte change. Un animateur est celui qui fait le lien entre les jeunes et la société, mais il nous manque souvent des clés pour comprendre ce qui se passe, analyser les évolutions. Il faut inclure cette dimension dans la professionnalité des animateurs.
Ce qui est attendu plus ou moins explicitement des structures jeunesse, c’est que « ça se passe bien dans le quartier ». Les structures jeunesse ont toujours été attendues comme instrument de pacification dans le quartier. Mais par quels mécanismes ? En travaillant à « calmer » les jeunes, ou en leur permettant de se construire positivement ? Bien souvent, l’indicateur attendu est celui du nombre de jeunes accueillis dans les structures. Si cette logique gestionnaire a toujours existé, elle semble se renforcer. Mais pointer les jeunes qui entrent dans la structure suffit-il pour rendre compte du travail effectué, pour évaluer la qualité de la structure ? Cette attente du nombre de jeunes « touchés » par les structures ne s’accompagne pas toujours d’une attente sur la qualité du travail effectué. Cette logique du chiffre s’est accentuée également avec la multiplication des appels à projets et des recherches de subvention. Cela nous demande un temps administratif d’écriture de projets, qui bien sûr, nous permet aussi de prendre du recul avec la pratique, mais qui fait aussi du temps en moins pour être sur le terrain. De plus, cela « flèche » les thématiques sur lesquelles nous travaillons. Actuellement, les injonctions à travailler sur la radicalisation sont emblématiques de cette situation. D’un côté, on attend logiquement que nous nous positionnions sur cette question – il y a effectivement des moyens financiers pour construire des projets – mais nous n’avons pas beaucoup de latitude pour construire quelque chose de pertinent en fonction de ce qui nous semble vraiment important.