Le quartier, la ville, les migrants et le monde…
« En créant ce collectif, c’était un moyen de se construire aussi la possibilité de mettre en pratique, de mettre en œuvre nos idées, nos valeurs, nos envies et nos engagements… »
On est une dizaine de Pantinois à avoir monté un collectif, TRACES, qui lutte en faveur d’un meilleur accueil pour les populations exilées. Un des points communs c’est d’avoir eu un parcours associatif avant. On est passé par des structures jeunesses de la municipalité, mais aussi par des structures associatives de la politique de la ville : on a été soit bénéficiaires soit bénévoles de ces structures. C’est comme ça que l’on s’est connus d’ailleurs. Ce collectif est né d’un projet financé par la municipalité. L’arrivée d’exilés et de réfugiés aux portes de Paris nous concernait directement dans notre environnement proche. Cette situation avait débouché sur certaines tensions entre des jeunes de la ville et ces exilés : les jeunes voyant leur arrivée comme une détérioration de leur quartier, qui était déjà selon eux bien trop détérioré. Donc on s’est retrouvé au Lab’ (structure jeunesse municipale pour les 18-25 ans) autour d’une exposition sur la guerre en Syrie et on s’est dit « pourquoi on ne ferait pas un reportage sur les exilés en France ? ». Puis au final, cette aventure nous a menés, caméra à la main, dans les camps du nord de la France (jungle de Calais et camp de Grande-Synthe) et en Grèce à Athènes et sur l’île de Chios, au large de la Turquie.
Cet engagement est aussi né de l’idée d’avoir une identité forte qu’on ne retrouvait pas forcément dans les autres engagements associatifs parce que, pour le coup, quand c’est une structure municipale, c’est aussi parfois pas mal verrouillé par la municipalité. Il est parfois difficile d’y trouver un espace où on se sente autonome et indépendant. C’est pareil dans les structures associatives, dans lesquelles on était investis : c’était aussi parfois verrouillé par des figures de quartier qui nous avaient donné envie de faire de l’associatif mais on avait de moins en moins envie d’évoluer dans ce cadre-là, et donc on a pu monter notre collectif…
En fait c’était un grand apprentissage pour nous parce qu’on n’avait jamais monté de structure avant, on était bénévoles mais on n’avait jamais organisé d’actions seuls et encore moins sur cette thématique. Là, en créant ce collectif, c’était un moyen de se construire aussi la possibilité de mettre en pratique, de mettre en œuvre nos idées, nos valeurs, nos envies et nos engagements… Et ça a débouché sur plusieurs actions. Face au fait que beaucoup de personnes et de jeunes de la ville ne comprenaient pas pourquoi cette population migrante arrivait aux portes de Paris ou dans le parc HLM où ils habitaient, on a décidé de faire un documentaire et des reportages photo et de les présenter dans les maisons de quartier, dans des foyers de jeunes travailleurs, dans des lycées, dans des facs, dans des écoles. Ce reportage documentaire retrace notre expérience dans la « jungle de Calais », l’immense camp de réfugiés à côté du tunnel sous la Manche dans lequel survivaient plus de 6 000 exilé·es. On a aussi pu partir en Grèce faire un voyage de solidarité internationale avec l’idée de ramener des images et des informations sur ce qu’il se passe dans ce pays que l’Union européenne a humilié. Il y avait aussi l’idée de faire participer des jeunes d’autres territoires et on est parti avec une compagnie de danse de Villiers-le-Bel : la danse et les ateliers artistiques développés sur place ont été un outil pour créer une complicité avec des exilé·es de notre âge. Notre volonté c’était de faire des projets à forte coloration artistique pour pouvoir échanger avec les exilé·es et changer les représentations stigmatisantes qu’on peut se faire d’eux·elles.
Maintenant, je pense que les attentes qu’on a sont très diverses, c’est peut-être pour ça qu’il y en a beaucoup qui se retrouvent plutôt dans un engagement local ou un peu moins institutionnalisé, ne serait-ce que peut-être pour faire des rencontres. Dans TRACES, il y a en a beaucoup qui viennent et qui n’ont pas vraiment une conscience politique. Ils viennent pour aider ; ils se disent juste « ben je vais faire une bonne action, j’ai deux heures de mon temps et j’aimerais le mobiliser utilement, pour les autres ».
Est-ce que ça c’est proprement politique ? Je ne sais pas mais en tout cas ils viennent, même sans avoir forcément conscience que la question de l’accueil des migrant·es en Europe est un rapport de force politique, entre deux visions de la vie en collectivité. Ça vient peut-être avec le temps et avec le fait de faire des actions, mais au départ on en a vu beaucoup qui sont venu·es sans avoir conscience que c’était un problème politique en soi mais juste avec l’envie d’aider.