Les mots

Maraudes

Il y a de l’entraide et de la solidarité dans les quartiers

Zakarias Khedidi
Fondateur de Cité Solidaire – Nanterre

« Des jeunes qui veulent donner de leur temps, qui veulent s’engager, qui veulent aider. »

C’est un soir de décembre en 2018, le premier week-end des vacances, qu’avec deux amis, on a organisé une première maraude. On s’était dit pourquoi ne pas mettre 50 euros chacun, faire des achats et distribuer. On s’est fait un groupe WhatsApp ; Z’y va nous a prêté un local pour préparer les repas. On était cinq, on est allé à Paris. La première fois, nous ne savions pas trop où trouver les SDF et nous sommes rentrés à trois heures du matin. On s’est mis sur les réseaux sociaux, Snapchat, Instagram et ça a pris tout de suite. On a fait une deuxième maraude, puis une troisième, une quatrième, il y avait toujours plus de monde. Alors Z’y va nous a conseillé de monter une association. On a hésité, une association cela nous semblait trop lourd, nous n’étions pas partis pour ça ; et puis on a pesé le pour et le contre et on s’est lancé. Deux mois plus tard, l’association était créée ; de plus en plus de jeunes venaient ; on a fait un partenariat avec le restaurant de tacos qui nous a fourni 20 tacos et des canettes. Progressivement, on est passé à 40 sacs, 50 sacs, 100 sacs et on s’est arrêté à 120 kits alimentaires distribués tous les samedis par 20 à 25 bénévoles, et on est obligé de refuser des bénévoles. J’avais déjà participé à quelques maraudes à Z’y va. J’aimais bien ce côté d’aider l’autre, d’aider son prochain. J’en ai fait aussi une fois avec une association mais je préfère le faire de mon côté, à ma manière, avec ma vision. Pour ma part, il y a un côté religieux qui joue aussi. Je suis musulman. L’islam cela implique d’aider son prochain, d’aider l’orphelin, on a ces valeurs-là. Je n’ai pas ouvert le Coran pour regarder ce que je devais faire. Non. J’ai grandi avec cette idée du partage et j’aime ça aussi. On a la chance d’être au service des gens et pas le contraire. J’aurais pu être à leur place.

Il y a surtout des jeunes dans les bénévoles et des mamans qui participent à la préparation des repas, apportent des courses mais ne font pas les maraudes. Nous passons par Instagram et Snapchat, c’est de l’instantané. On a parfois la flemme de lire des textes alors qu’en vidéo on dit la même chose et c’est du concret. On met des images de nos distributions, de la préparation, des échanges avec les personnes ; il n’y a pas mieux que les images. Les jeunes viennent de partout, des Mureaux, du 13e, du 77. Ils donnent du temps, font de longs trajets. Ce qui les fait venir, c’est aussi l’ambiance, le côté jeune, famille. On est entre nous. Je suis jeune comme eux, je parle comme eux, j’ai les mêmes normes. Quand il y a des nouveaux, je les prends dans mon équipe pour leur transmettre la façon de faire, comment par exemple ne pas réveiller quelqu’un quand il dort vraiment, parce qu’il en a besoin. J’ai appris sur le tas, ça met en valeur l’expérience plus que la théorie, j’ai acquis ces compétences sur le terrain.

Ici c’est Cité solidaire, mais dans d’autres quartiers cela porte un autre nom mais c’est toujours avec les mêmes codes : des jeunes qui veulent donner de leur temps, qui veulent s’engager, qui veulent aider. On voit ça dans beaucoup de quartiers, malheureusement ce n’est pas assez visible. Par exemple, la marche à suivre : dans le 77, ce sont aussi des jeunes, ils se donnent rendez-vous tous les dimanches et ils font des maraudes. Il y a aussi Jeune espérance du 77. Quand on rentre dans ce cercle-là, on voit qu’il y a de l’entraide et de la solidarité dans les quartiers. Parce qu‘un jour on a été touché, on a été dans une galère, on sait aider, comme plus tôt on nous a aidés.

Maraude Cité Solidaire

Maraude Cité Solidaire

Maraude à Paris réalisée par l'association Cité Solidaire 92.

Pourquoi aller à Cité solidaire et pas à la Croix-Rouge, qui est connue ? Avec Cité solidaire ou d’autres associations de quartiers, l’engagement est plus simple, plus facile. Si je vais à la Croix-Rouge, on va me donner un questionnaire à remplir, me demander de m’habiller d’une certaine façon. Je vais côtoyer des personnes plus âgées que moi et je vais moins m’y retrouver. Alors que dans une association locale, on est entre jeunes, on se connaît, peut-être qu’on a été au même lycée. À la Croix-Rouge, on me dira : il faut faire ci, il faut faire ça, il faut s’engager. Attention le mot s’engager peut faire peur. Le mot engagement, ce n’est pas n’importe quoi et je le dis aux bénévoles. J’envoie un message tous les mercredis pour savoir qui vient samedi : « si tu me dis que tu viens, moi je compte sur toi. Ne te dis pas que ce n’est pas grave si tu ne viens pas. Je compte sur toi. Tu as peut-être pris la place de quelqu’un d’autre. Et si trois autres personnes se désistent comme toi, le groupe se rétrécit et on est moins efficace. » Je pose la question pour un samedi. Déjà un samedi soir c’est beaucoup pour un jeune. On ne va pas lui faire peur en lui demandant de s’engager pour 6 mois ou pour un an. Je laisse un message. S’il ne peut pas, il n’y a pas de souci. Et pourquoi nous, jeunes, jeunes des cités, on ne serait pas capables de s’organiser ? Nous avons une certaine fierté de le faire. Les maraudes ont continué avec le confinement 1. On a arrêté le premier samedi, et puis quand on a vu la situation des SDF et des réfugiés, on a repris avec quatre bénévoles seulement, deux par voiture, avec des masques, des gants, du gel. On fait de la distribution seulement, on ne s’arrête pas pour discuter. Et par ailleurs, à Nanterre, on voit un élan de solidarité. Il était là avant, mais il s’est renforcé. Les jeunes vont voir les personnes âgées, font leurs courses. Le paradoxe est qu’on demande de rester chez soi et en même temps d’aider. Chaque samedi avec Z’y va on distribue 100 colis alimentaires. Cela s’est fait d’un coup, de façon bénévole, parce qu’il faut s’aider. Ça ne vient pas de la mairie mais des acteurs locaux, des commerçants, des associations. On a recensé les familles, on fait de la livraison, on monte, on pose, on sonne.