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Religion

Chacune son chemin

Atelier d'écriture
Extraits

Trois jeunes filles d’Aubervilliers discutent autour de la thématique de la religion.

Trois jeunes filles d’Aubervilliers discutent autour de la thématique de la religion. Faiza (16 ans, lycéenne) et Noura (17 ans, sans activité), musulmanes, ont grandi dans des familles musulmanes. Jasmine (17 ans, lycéenne), qui a grandi dans une famille « chrétienne » et se définissait comme « chrétienne », s’est convertie à la religion musulmane. Noura est la seule à être voilée.

 

Jasmine : Quand j’étais chrétienne, je voyais qu’il y avait différentes manières de pratiquer la religion, entre les chrétiens protestants, les chrétiens catholiques… Mais ce qui me dérangeait, c’est que personne n’avait la même version. Dans ma famille, certains sont protestants, d’autres sont catholiques, et quand on parlait de ce sujet, ils n’étaient vraiment pas d’accord entre eux. Pour moi, être chrétien, c’est une seule religion. Mais en fait il existe différentes versions et on ne sait pas vraiment quelle est la meilleure et la vraie version. Ça me gênait. C’est pour ça que je me suis convertie, parce qu’au moins dans la religion musulmane, tout le monde a la même version. Il n’y a pas différentes religions, il n’y en a qu’une seule. Et moi, je voulais vraiment une seule version, une seule vraie version. J’en ai parlé à ma sœur, parce qu’elle est assez ouverte d’esprit et qu’elle aussi était un peu perdue. Elle essayait de s’intéresser aux autres religions pour voir quelle religion lui correspondait plus. C’est elle aussi qui a fait que je me suis intéressée à la religion musulmane parce que c’est elle qui a ramené le livre du Coran et j’ai commencé à le lire. Elle, elle est restée dans la religion chrétienne. Mais c’est grâce à elle que j’ai vraiment pu découvrir la religion musulmane. Le reste de ma famille par contre n’est pas du tout ouvert d’esprit. Ils ne savent pas que je me suis convertie.

 

Noura : Mais on n’a pas toujours le même point de vue entre musulmans. Pourtant, on est censé être tous d’accord mais souvent on n’est pas d’accord, et souvent il y en a qui interprètent les textes comme ça les arrange.

 

Faiza : Par exemple, pour moi, c’est la base de manger halal, de faire ses cinq prières et tout. Mais chacun fait comme il veut. Nous, ce sont nos parents qui nous ont transmis la religion musulmane. Au début, on pratique parce que nos parents nous disent de le faire. Mais il y a un moment de ta vie où tu dis : « il faut que je m’y intéresse moi ». Ça arrive quand tu as l’âge de comprendre, que tu es mature, que tu penses que le temps où ta mère te dit de faire les choses est passé, que tu te dis « il faut que j’apprenne de moi-même pourquoi je le fais ». Après tu le fais de toi-même. À la base, moi je priais parce qu’on me disait « il faut que tu pries », « il faut que tu fasses ci », « il faut que tu fasses ça ». J’ai une sœur qui est bien à fond dans la religion, plus que moi. Je parle avec elle : je lui demande pourquoi il faut que je fasse ceci, cela, je lui pose des questions. Elle peut me conseiller de lire des livres par exemple. On a aussi des applications, qui nous donnent par exemple des versets, l’heure à laquelle prier.

 

Noura : Ma mère nous parle tout le temps de religion. Quand je vais rentrer ce soir, la première chose qu’elle va me demander c’est si j’ai prié. Mais je n’en parle pas avec d’autres personnes de ma famille. Si je suis chez moi toute la journée dans ma chambre et que je n’ai pas prié, ça ne plaira pas à ma mère. Je n’ai pas intérêt à lui dire que je n’ai pas prié. Mais si je n’étais pas chez moi de la journée, elle va comprendre.

 

Faiza : Pour moi, c’est différent. C’est plutôt ma sœur qui va me demander si j’ai prié. Mais je n’aime pas trop me justifier. Quand ma sœur me demande « pourquoi tu n’as pas prié ? », je réponds toujours « parce que ». Après je vais le faire parce que je dois le faire. Mais je n’aime pas trop qu’on me pose des questions. J’ai l’impression qu’on est sur moi. Ça me saoule !

 

Noura : Après, il m’est arrivé de douter par rapport à la religion. Entre dix et treize ans, je doutais vraiment. Je me disais : « pourquoi, moi, je suis musulmane et pourquoi, moi, je suis censée suivre tout ça ? Pourquoi on a trop d’interdictions dans la religion musulmane ». Je me disais carrément « c’est pas normal, c’est pas normal d’avoir une religion où tout est interdit ». J’avais l’impression qu’on ne pouvait rien faire ! Pour moi, ce n’était pas normal ! Je n’avais pas la bonne religion ! Je me disais « je pense que je suis née dans la mauvaise famille, j’aurais dû naître dans une famille chrétienne, j’aurais eu moins d’interdictions ». Par exemple, avant je mettais tout le temps des mèches dans mes cheveux et c’était interdit et pourtant je le faisais. Je savais que c’était interdit, mais je ne comprenais pas pourquoi on n’avait pas le droit.

 

Faiza : On n’a pas droit aux faux cheveux, on n’a pas droit au maquillage, on n’a pas droit au traçage de sourcil, on n’a pas droit… On n’a droit à rien !

 

Noura : On a le droit au maquillage, mais on est censé le mettre uniquement pour notre mari et uniquement chez nous. Autre exemple, j’ai voulu un piercing, simple, mais ma mère m’a pris la tête parce qu’elle me disait que c’était faire quelque chose qui t’embellit. On n’a pas le droit de se faire belle pour sortir, de s’embellir pour sortir. Je me disais : « c’est trop bizarre ». Je me disais carrément : « il faut que je change de religion ». Les moments où j’étais mal aussi, je disais « Dieu n’existe pas. On est censé être heureux ». Je me disais « Dieu ne m’aime pas », « si je vais mal c’est à cause de Dieu, parce qu’il ne m’aime pas, parce qu’il n’est pas avec moi ». Franchement, combien de fois, je me suis dit ça : « Dieu ne m’aime pas ». Mais ça, je n’oserai jamais le dire à ma mère, même si c’était avant, même si aujourd’hui je ne pense plus comme ça. Je n’oserai pas dire à ma mère que je pensais comme ça avant. Et aujourd’hui, je me dis ce n’est pas possible, ce n’est pas possible de pas croire.

 

Faiza : Moi aussi. Il m’arrivait que des trucs pas drôles et je me disais : « mais il ne m’aime pas, ce n’est pas possible ». Mais il faut le mériter aussi. Ce n’est pas : tu ne fais rien et tout le bonheur arrive sur toi. Si tu veux quelque chose, il faut le mériter.

 

Noura : Dans la religion musulmane, une femme musulmane n’a pas le droit de se marier avec un homme chrétien, mais un homme musulman a le droit de se marier avec une femme chrétienne. Parce que quand on est marié, on prend tout de l’homme et les enfants aussi, ils prennent tout de l’homme. Si je suis mariée avec un chrétien, mes enfants sont chrétiens. Ça veut dire que je ne peux pas leur apprendre ma religion. Je ne préfère même pas essayer avec un garçon qui n’est pas musulman. Ça ne sert à rien, c’est une perte de temps. En fait, le mariage, on a l’impression que c’est un truc tout simple : tu aimes quelqu’un, la personne t’aime, vous allez vous marier. Mais c’est tellement plus compliqué que ça ! C’est vraiment, vraiment compliqué.

 

Faiza : Tu peux avoir un coup de foudre et aimer une personne qui n’est pas de la même religion que toi. Mais dans ce cas-là, dès que tu le sais, il faut mettre cartes sur table. Il faut dire « oui, tu sais très bien que moi je suis musulmane et que toi tu es chrétien, ça ne peut pas marcher et donc c’est mieux que ça s’arrête là ». C’est mieux de faire ça que de laisser traîner un an, deux ans… Après, tu ne peux plus lâcher la personne et là tu fais comment ? Parce que tes parents te l’ont dit, la raison te l’a dit. Tu parles avec tes sœurs, tu parles avec tes amies. Tu sais très bien que ce n’est pas possible. Il y a des exceptions. Ceux qui sont musulmans et non pratiquants se disent « oh là là, franchement, je m’en fiche, moi je l’aime et puis c’est tout ». Ils ont totalement le droit. Mais moi, je n’aimerais pas faire ça. Nous, les musulmanes, on doit porter le hijab, enfin une tenue qui cache le corps et les cheveux pour que les hommes dehors ne nous voient pas. Il n’y a que notre mari qui doit voir notre corps. Moi, je dois suivre cela, mais je ne le fais pas, parce que je ne suis pas encore prête. Du coup, je me permets de mettre des faux cheveux et de me maquiller, mais je n’ai pas le droit… Tout le monde me le dit, mais je pars du principe qu’on est tous passé par là. Ma sœur, qui est vraiment dans la religion, est passée par là. Elle a réussi à se sortir de là. Elle a dit « je vais arrêter de faire ça » et elle s’est couverte. Mais moi je ne me sens pas prête. Moi, j’aime bien mettre des rajouts, m’épiler les sourcils… Je suis bien dans mes jeans ! C’est une question d’habitude.

 

Noura : Moi je suis voilée. J’ai eu un déclic. J’avais regardé une conférence qui disait que c’était obligatoire, que si on sortait sans se couvrir les cheveux, on était dans le péché. C’est ça qui m’a guidée ensuite aussi, de regarder des conférences. Si on ne va pas au paradis, on va réellement souffrir, on va réellement regretter notre existence. Tout ce qu’on n’a pas accompli ici, on va le regretter. C’est ça en fait qui fait peur. Moi j’ai vraiment peur, j’ai vraiment vraiment peur de la mort. Je pourrai me permettre de porter un voile qui couvre vraiment quand j’aurai fini mes études : je n’aurai plus à l’enlever pour sortir, pour rentrer dans les lieux publics, à l’école… C’est à partir de ce moment-là que je serai vraiment libre de le porter totalement. Mais c’est aussi une question d’étapes. Tout couvrir d’un coup, c’était trop brusque pour moi. Je sais que je ne peux pas aller à la piscine, je ne peux pas aller à la plage, être en maillot. Pourtant, il y a plein de moments où j’aimerais bien, mais je ne peux pas. Par exemple en été, à des moments où il fait super chaud, j’aimerais vraiment aller à la piscine, mais je sais que je ne peux pas. Donc j’ai sorti cette idée de ma tête.

 

Jasmine : J’attends d’avoir un appartement, d’être indépendante pour vraiment bien pratiquer la religion, vraiment rentrer dedans, pouvoir me voiler… Pour l’instant, ça ne se fera pas, vraiment pas. Même si ma sœur et mon frère sont ouverts d’esprit, ils n’accepteraient pas que je porte le voile, que je montre que je me suis convertie ou que je suis musulmane.

 

Faiza : Après, il faut qu’on travaille, qu’on s’assume soi-même avant d’être mariée, il faut qu’on aide ses parents. Il faut s’adapter parce qu’on n’est pas dans un pays musulman. Je pense que si tu n’as pas le choix, évidemment, tu vas travailler et tu vas enlever ton foulard. Après si tu as le choix, tu es mariée, tu as un mari qui assume ton toit, et que toi, tu es avec les enfants, tu gardes ton foyer, je pense que ton foulard, tu le gardes, tu n’as pas besoin de l’enlever.

 

Jasmine : Il faut quand même s’adapter à la société, faire un effort, enlever son voile au travail.

 

Noura : Je ne suis pas d’accord. Je ne pourrais pas travailler dans un endroit où il faut que j’enlève mon foulard. Parce que je sais qu’on a toujours le choix. Je sais qu’il y a des endroits qui l’acceptent. Je sais qu’il faut juste chercher, il faut juste bien chercher mais tu peux trouver. Ma belle-sœur travaille chez elle, avec son voile. Je me dis qu’au pire je peux faire ça… Ça ne me dérange pas plus que ça de ne pas avoir de collègues. Je préfère ça à avoir des collègues qui ne me mettent même pas à l’aise, qui ne m’intègrent même pas.

 

Faiza : Les femmes voilées ont plus de chance dans le prêt-à-porter, dans la vente et aussi dans les sociétés familiales. Et aussi tout ce qui va être par exemple Uber. Mais pas dans la fonction publique.