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Médias

Les jeunes des quartiers populaires face à la stigmatisation médiatique

Jeanne Demoulin
Sciences de l'éducation
Claudette Lafaye
Sociologue

Le double jeu des médias : stigmatisation collective et valorisation d'exceptions

Émeutes - Médias

Les images négatives et homogénéisantes des jeunes des quartiers populaires produites ou relayées dans les médias de masse ont de quoi effrayer. La violence, la délinquance, les émeutes, la dégradation des bâtiments, mais aussi plus récemment le communautarisme, l’islamisation ou la radicalisation dressent un portrait alarmiste de ces territoires et de leurs habitants. Les jeunes dénoncent ce mécanisme qui pousse les médias à n’être pas ou que très rarement « dans le juste milieu » et à privilégier la « caricature » pour améliorer l’audience : « c’est ça qui fait vendre » résume l’un d’eux.

 

Le double jeu des médias : stigmatisation collective et valorisation d’exceptions

Une analyse originale a en outre été proposée sur la tension qui apparaît dans la couverture médiatique entre stigmatisation collective des « quartiers » et de leurs habitants et valorisation de parcours individuels « de réussite » de personnes issues de ces quartiers. Selon un jeune de Pantin, les médias parlent soit des jeunes impliqués dans des émeutes soit d’un jeune devenu artiste ou footballeur. La stigmatisation, essentiellement collective donc, aboutit à la production de catégories homogénéisantes et standardisées (« les quartiers », « les jeunes de banlieue » etc.). En contrepoint, les parcours de réussite ne sont pas médiatisés comme des parcours de jeunes « de banlieue » : à l’instar de MHD, dont l’histoire est racontée dans l’un des textes de cette même notice, c’est si et seulement si ces personnalités chutent que leur origine est mise en avant dans les médias et mobilisée comme un facteur explicatif de leur déchéance. Un autre exemple revenu à plusieurs reprises est celui du footballeur Mbappé : les médias ne l’ont que tardivement présenté comme originaire d’un quartier populaire et ne l’ont jamais présenté en tant que Noir, ce qu’ils ne manquent pas de préciser en premier lieu lorsque des jeunes commettent des actes répréhensibles. Dès lors, à connaître « les quartiers » et les jeunes qui y vivent uniquement au travers de ces médias, le grand public amalgame « jeunes des quartiers » et problèmes. Les jeunes avec qui nous avons travaillé étaient unanimes sur le lien fort entre représentation médiatique des « quartiers », des « jeunes des quartiers » et la stigmatisation dont ils sont victimes. Ce qu’ils nous ont massivement donné à entendre, ce sont les effets nombreux et pluriels de la stigmatisation sur leur quotidien personnel, scolaire et professionnel ainsi que sur leurs projets d’avenir. Ces récits rendent compte d’une diversité des situations en même temps que d’une communauté d’expérience. 

C’est sur les réseaux qu’ils trouvent des avis contradictoires qui leur permettent de se faire leur propre opinion, et de contribuer eux aussi aux débats…

Des jeunes expliquent que les médias nourrissent les « fantasmes », et ils en ont eux-mêmes fait l’expérience sur d’autres sujets voire à propos d’autres quartiers que les leurs. Ce que les jeunes nous ont moins dit, mais que nous avons observé au cours des rencontres entre les jeunes des différents quartiers, c’est que les quartiers sont plus ou moins stigmatisés. Cette stigmatisation différenciée crée une forme de hiérarchie dans les réputations qui semble intégrée par les habitants de ces territoires et renvoie à des formes d’inégalité. « Ceux des Tarterêts » ont fait l’objet d’une méfiance particulièrement difficile à dissiper lors des rencontres entre les jeunes qui ont eu lieu au cours de la recherche, à la hauteur de la célébrité médiatique de ce quartier.

 

Une méfiance vis-à-vis des médias traditionnels

Les médias suscitent de la méfiance et le discours des jeunes est très critique à leur égard. Les médias sont considérés tour à tour comme sans intérêt, manipulateurs, menteurs, partiaux, enfumeurs, chiens de garde. «  On se porte plutôt bien sans les médias » résume alors une jeune. Certains des jeunes disent tout de même qu’ils « regardent » les médias – puisque c’est d’abord et presque uniquement les informations diffusées à la télévision qu’ils consultent. Plusieurs relèvent la contradiction, en soulignant que c’est assez paradoxal de se plaindre du discours véhiculé par les médias tout en continuant à écouter ce que racontent les journalistes, et en particulier ceux de BFMTV ou du Parisien, les plus critiqués mais aussi les plus consultés parmi les jeunes qui ont participé à la recherche. Cette méfiance nourrit des formes de résistance aux contours variés pour faire sans les médias dominants : évitement, consultation de réseaux sociaux, production de contenus sur ces médias sociaux, création de nouveaux médias… Le tri qu’ils effectuent dans les informations disponibles pour se forger une opinion mais aussi leur participation à la production de l’information constituent des formes de politisation des jeunes, que l’on a notamment pu voir durant la période de confinement en 2020. Utiliser les réseaux sociaux reste ainsi la première voie qu’ils suivent, que ce soit pour s’informer ou prendre part à la production de l’information en postant soi-même des informations ou en réagissant à d’autres. Les réseaux sont selon l’un d’entre eux « la face cachée des médias » dans la mesure où les réseaux permettent de voir ce que les médias ne montrent pas. C’est sur les réseaux qu’ils trouvent des avis contradictoires qui leur permettent de se faire leur propre opinion, et de contribuer eux aussi aux débats quand ils se sentent exclus par l’image partiale renvoyée par les médias. Une autre voie suivie par quelques rares jeunes qui ont participé à la recherche est de proposer une alternative aux médias dominants en créant des médias alternatifs. Notons que ces dernières années, des médias ont permis de porter un autre regard sur les « quartiers » (le Bondy Blog, France 24, Mediapart…). Que ce soit tout ou partie de leur ligne éditoriale, ils prennent pour beaucoup le parti de donner la parole à ceux qui habitent ou pratiquent ces territoires. Si ces médias restent inconnus de la plupart des jeunes qui ont participé à Pop-Part, la volonté d’apporter sa pierre à l’édifice en créant autre chose est vive chez certains d’entre eux.

 

Nuage de mots - Médias

Nuage de mots - Médias

Nuage de mots créé à partir d’une recension des titres du Parisien, février et mars 2019, par Théoxane Camara.