De prince de l’afrotrap à meurtrier : MHD, les médias et les quartiers
« Avec un jeune de quartier, c’est comme si la présomption d’innocence disparaissait. »
MHD, de son vrai nom Mohamed Sylla, est un rappeur. Il a arrêté les cours très jeune et, à 19 ans, il a commencé à vendre des pizzas. Il aimait écouter des musiques africaines et du rap français. Il s’est dit qu’on pouvait articuler les deux et créer un nouveau style, ce qu’il a fait. Il a appelé ça « l’afrotrap ». D’abord, il a sorti une vidéo qu’il a postée sur Facebook : il avait pris une instru d’une musique africaine et il rappait dessus. C’est une musique qui rassemble, fédératrice, qu’on peut écouter avec des enfants. Dans cette vidéo, on voit les petits de son quartier danser et jouer au foot. La chanson et la vidéo véhiculent une bonne image du quartier, une image heureuse. Dans le contexte du rap actuel, ça détonne.
Avec ça, il a commencé à se faire connaître. Il est devenu une idole dans son quartier. Ensuite il a sorti des petits tubes, en continuant à livrer des pizzas : Afrotrap 1, Afrotrap 2… Au bout du troisième titre, ça a explosé et son public s’est élargi. Donc il a continué, en continuant à vendre des pizzas. Il a fait le buzz sur les réseaux sociaux, il a eu plusieurs millions de vues. Il a pu arrêter de vendre des pizzas et se mettre à 100% dans la musique. Il a fait des show cases et il est passé sous le feu des projecteurs.
Quand il a annoncé qu’il allait sortir un album, des articles sont sortis de partout, il était invité sur les plateaux télé. C’était un succès fulgurant. Les médias l’appelaient le « prince de l’afrotrap ». L’emballement médiatique était sur sa musique mais aussi sur sa personne. Les médias valorisaient son parcours, le trouvaient sympathique, toujours avec le sourire, le qualifiaient d’humble. Ses racines africaines étaient elles aussi valorisées. Par exemple, l’émission « 7 à 8 » l’avait suivi dans une tournée africaine. Les journalistes s’intéressaient vraiment à lui, à sa musique. Ils lui posaient des questions sur ça, et ils ne lui demandaient pas, par exemple, de choisir entre sa culture française et sa culture africaine. On le reconnaissait comme un artiste français, qui avait fusionné deux cultures.
Son parcours fait briller les yeux. Il est même devenu égérie de la marque Puma, mais il a toujours continué à vivre sa petite vie, à aller voir ses amis d’enfance. Il a fait monter plein de gens avec lui, notamment ses potes du 19e arrondissement de Paris. À part lui, personne ne passe de livreur de pizza à artiste international. L’été 2018, ça a été l’apogée. On parlait de lui partout.
Il a été invité au festival Coachella, un festival très sélectif. Il a sorti un album qui est devenu disque d’or en moins de deux mois. Il ne pouvait pas faire plus haut.
À l’été 2018, un meurtre a eu lieu, en lien avec des rixes inter-quartiers. Quelques mois plus tard, l’événement a été médiatisé. Une voiture qui lui appartenait a été retrouvée sur le lieu du crime. Les médias ont montré des images dans lesquelles on voit des mecs descendre de la voiture et en tabasser un autre. L’une de ces personnes a un maillot Puma, édition limitée, qui n’était pas encore sorti en magasins. Ça l’a directement accusé. L’enquête essaye de prouver que c’est lui qu’on voit sur les vidéos. Lui, il dit qu’il prête sa voiture et ses habits à tout le monde. Il a été interpellé, et mis en mandat de dépôt en attendant le jugement.
Comment les médias parlent de lui depuis ? Alors qu’avant on montrait toutes ses qualités, maintenant… Ce n’est plus le roi de la musique, le jeune de Paris. C’est le jeune de cité, le jeune du 19e, le jeune d’origine africaine. Si certains médias restent prudents, des journaux qui l’encensaient un an plus tôt ont changé de musique. Le Parisien le désigne coupable (« S’il conteste toute implication, l’enquête révèle des indices troublants à son encontre ») et le ton se fait sarcastique (« Car, généreux, il met sa berline “à la disposition de tout le monde” aux Chaufourniers en la garant près d’un bar-tabac »). En septembre 2018, lorsqu’il sort son album « 19 », Le Figaro écrit : « L’univers musical de MHD est remarquable par sa polyvalence. Il y a de tout : funk, gangsta rap, musique traditionnelle africaine. Papalé, une composition lyrique, parle de son père, reparti en Afrique pour la retraite. Avec une grande sincérité, MHD met en scène l’expérience personnelle et sociale de ses pairs. L’expérience plutôt pénible : drames amoureux, précarité, violence. À l’instar des rappeurs américains, MHD dénonce la pauvreté et le chômage qui frappent l’Afrique. Sur la forme de ses chansons, il mêle le français avec les langues africaines. Son public est tout aussi mélangé : entre adolescents et trentenaires, Parisiens des quartiers chics et résidents des coins populaires, Européens et Africains ».
Un an plus tard, alors que le chanteur est arrêté, le même journal indique dans un article intitulé « Le rappeur MHD en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour meurtre » : « Le chanteur de 24 ans, ancien proche de Booba, s’est fait connaître en 2015 par des vidéos YouTube et est considéré comme l’un des nouveaux prodiges du rap. Son second album, 19 – du nom de son arrondissement parisien –, est sorti en septembre. Devenu le “chouchou” de la télévision, les équipes du Petit Journal et de Touche pas à mon poste ! l’invitent pour discuter des jeunes en banlieue, Stupéfiant ! l’émission de Léa Salamé sur France 2, lui consacre un portrait ». Jusque-là, on savait qu’il venait du 19e, mais les médias ne parlaient pas vraiment de ça, ou alors de manière positive. Là, on dit d’où il vient, comme si c’était une preuve de sa culpabilité. On ne parle plus seulement du 19e, mais on nomme son quartier (« un artiste de 24 ans ayant grandi aux Chaufourniers »). Tous ses attributs, présentés comme positifs avant, sont présentés comme négatifs maintenant. Des choses sont ressorties sur lui, comme l’agression de son frère par la police, et n’ont pas joué en sa faveur. Chaque média a sa version, on ne sait pas ce qui est vrai, ce qui est faux.
Ce que raconte cette histoire, c’est qu’il y a un traitement médiatique différencié. Quand quelqu’un de très connu est accusé de viol, comme un ex-patron du FMI, il y a une levée de boucliers et du temps d’antenne pour l’accusé. On clame la présomption d’innocence. Avec un jeune de quartier, c’est comme si la présomption d’innocence disparaissait.