Créons nos propres médias !
« Comment on peut faire en sorte, nous, de montrer ce que les médias ne veulent pas montrer ? »
Je suis membre du collectif AClefeu et, souvent, il y a des médias qui viennent nous interviewer ou nous filmer. J’en ai rencontré beaucoup et je ne veux pas les distinguer, BFM, iTélé, pour moi, ils ont tous la même logique : ils retiennent exclusivement ce qui les intéresse. Leurs journalistes débarquent, ils posent plein de questions et ils vont retenir que ce qu’ils avaient préalablement décidé de montrer ! Les images sont toujours les mêmes, orientées… Le commentaire est toujours le même, orienté… C’est de la grosse manipulation ! J’ai lu un livre qui analyse bien les choses. Il s’appelle La banlieue du 20 heures de Jérôme Berthaut. Il dissèque la manière dont le JT traite l’actualité des banlieues. Il montre la recherche du sensationnel : pas question de montrer un jeune qui va rechercher un emploi, par exemple. Et le cinéma, c’est pareil : des films comme Banlieue 13 n’ont rien à envier aux JT. Ils ont le même prisme. Les films qui sont tournés au Chêne pointu, c’est pour montrer quoi ? La misère, la guerre, les quartiers ! Jamais, les médias ne sont venus à Clichy pour montrer autre chose. Ils ciblent un truc précis et ils nous tapent sur les doigts, ils nous matraquent…
Ils caricaturent : d’un côté, des flics parfaits, polis, et de l’autre, dans les cités, des délinquants ! C’est « policiers contre délinquants » et jamais, ils vont dire que les policiers outrepassent leur fonction… Ils sont pas du tout neutres comme ils voudraient nous le faire croire. Non, ils prennent parti, alors qu’ils ont une responsabilité, celle d’informer les gens. Quand ils disent quelque chose, ils le disent à tout le monde. Mais ça, ils l’oublient ! Ils titrent : « Clichy-sous-Bois, ville chaude » et quatre-vingt-dix pour cent des fois, ils montrent le Chêne pointu, alors que le Chêne pointu, c’est un quartier qui est juste délabré… C’est comme ça qu’ils foutent le bordel : une seule petite image sortie de son contexte peut tuer tout un quartier.
Nous, on y vit, on sait ce qui se passe réellement : y a du monde, plein de gens super, de l’entraide, de la solidarité, des tas de trucs qui se font… Dans les quartiers, ça bouge ! Et ça, BFM le montre jamais ! Quand ils font un reportage sur la campagne, par exemple, même des endroits super paumés, ils arrivent à les rendre attractifs juste avec une petite musique ! Alors pourquoi ils vont jamais parler de la forêt de Bondy, un petit coin de nature qui est aussi à Clichy ? Ça fait pas assez « banlieue » pour eux ! Tout ça doit nous questionner. Comment faire voir ce qui existe derrière ? Comment on peut faire en sorte, nous, de montrer ce que les médias ne veulent pas montrer ? Du coup, on a réfléchi et on s’est dit : il faut inverser la démarche. Pourquoi, nous, ne pas montrer ce qu’on a envie de montrer. Dans cette optique, on a engagé une démarche participative avec la chaîne d’infos en continu France 24 et on a choisi de traiter le sujet du contrôle au faciès… Et là, j’ai pris un petit goût pour le journalisme parce que pour une fois, j’avais des interlocuteurs qui diffusaient réellement ce qui se passait. Moi, je filmais avec ma caméra dans mon quartier, je leur envoyais les images et à la fin, quand je voyais mon reportage à la télé, ça correspondait à ce que moi j’avais filmé… Du coup, maintenant que nous avons tous des téléphones, avec les capacités qu’ont nos téléphones, on peut tous faire des reportages ! C’est ça l’alternative qu’on peut proposer. Alors, j’essaie de créer mon propre média, je fais des petites vidéos pour l’instant axées sur mes réseaux à moi, mais je compte élargir un peu plus avec des interviews et puis faire quelque chose de beaucoup plus global.