Les mots

Gilets jaunes

Jeunes et Gilets jaunes, des points de vue contrastés

Atelier d'écriture
Extraits

L'avis des jeunes de quartier sur le mouvement des Gilets jaunes.

Pendant le mouvement des Gilets jaunes, alors que les médias s’étonnaient de l’absence des jeunes des quartiers populaires, c’est-à-dire de façon euphémisée de l’absence des jeunes racisés, dans les manifestations, les jeunes de la recherche ont proposé d’en faire un thème de discussion. S’est exprimé ainsi un véritable intérêt pour ce mouvement, doublé parfois d’une prise de distance vis-à-vis de l’origine sociale et territoriale des manifestants et de la certitude que si les jeunes racisés descendaient dans la rue, ils seraient les premières cibles de la répression policière. D’où des attitudes diverses allant de l’engagement actif dans l’organisation de groupes locaux, à la participation ponctuelle à des manifestations, ou au choix de rester à l’écart dont rend compte cette table ronde.

 

Ahmed (23 ans, Vert-Saint-Denis) : Les Gilets jaunes, d’un côté je suis pour et d’un côté je suis contre. Je suis pour parce que leurs revendications sont légitimes. Le taux de chômage est élevé, le niveau de qualité des services publics se dégrade, il y a des problèmes d’insécurité, de santé, de logement, le nombre de SDF augmente, les salaires sont trop bas par rapport au niveau de vie. Tout cela est légitime. Par contre, je ne me sens pas concerné dans le sens où le problème des Gilets jaunes est un problème que nos grands-parents, nos grands frères et nos grandes sœurs, ont toujours vécu. Tout ce qu’ils revendiquent, le chômage, les emplois précaires et peu qualifiés, la violence policière, on l’a toujours subi. Mais quand les immigrés essayaient de manifester, on leur disait : « vous n’êtes pas dans votre pays, vous ne pouvez pas faire ça, vous ne pouvez pas vous plaindre. Soyez contents d’être là. » Mon père est né en Algérie, il est arrivé ici quand il avait 18 ans. On lui a toujours dit « tu n’es pas Français, tu ne parles pas ». Il y avait cet état d’esprit, on n’est pas chez nous, on la boucle. Par contre, nous on est Français, on est né ici, on a grandi ici, on va rester là, on aime la France.

De la part des Gilets jaunes, j’ai entendu des propos racistes. Pourquoi ils se mettent contre nous au lieu de se rassembler contre un système qui fait qu’on est tous dans les mêmes galères ? Que l’on soit Arabe, Noir ou Blanc, on a les mêmes difficultés. C’est comme si on nous disait : « vous les Arabes et les Noirs, ces problèmes-là vous les avez depuis longtemps mais c’est normal, si vous n’êtes pas contents rentrez chez vous ». Personnellement, si je rentre chez moi, c’est dans le 77 : je ne peux aller nulle part ailleurs.

 

Baptiste (18 ans, Saint-Denis) : Ce qui a mis le feu aux poudres c’est l’augmentation de la taxe carbone sur le gasoil parce que les pauvres doivent payer encore plus. C’est un mouvement populiste, avec des revendications à la fois portées par l’extrême droite et par l’extrême gauche. Il refuse toute récupération politique. Quand un leader parle plus de trois minutes, il se fait excommunier. Je trouve que c’est un mouvement intéressant parce qu’il montre les différences entre les gens. On arrive à un tel point d’asphyxie économique et sociale que les gens se rassemblent dans un même mouvement, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont tous d’accord. Sur l’immigration par exemple, vous prenez dix Gilets jaunes : il y aura toujours des divergences. C’est là qu’il faut être très attentif. Se dire gilet jaune, ce n’est pas être accordé sur des idées, c’est être dans un état d’esprit de contestation mais derrière la contestation il faut apporter des choses. Et c’est là que commence le vrai débat. Les Gilets jaunes pour moi c’est une étape vers quelque chose de plus grand.

 

Thibaut (23 ans, Pantin) : Je suis d’accord avec toi, c’est un état d’esprit, une posture : se mettre en contestation et en mouvement. Manifester avec les Gilets jaunes, cela m’a permis de rencontrer des gens que je ne vois pas d’habitude. Dans la vie quotidienne, c’est segmenté socialement, les plus pauvres ne rencontrent pas les moins pauvres, les classes moyennes ne rencontrent pas les autres. Ce que j’ai trouvé beau dans ce mouvement, c’est qu’en manif, et surtout dans les AG qu’on fait sur Pantin tous les jeudis depuis l’acte IV, on rencontre des gens qu’on n’aurait pas rencontrés. Dernièrement des taxis nous ont parlé de leurs soucis face à la concurrence des VTC. On travaille avec différents collectifs de Pantin, des parents d’élèves, des collectifs de squatteurs, on a aidé à faire des petits dej solidaires au camp de réfugiés de la porte de la Villette. Il y a une surreprésentation des gens qui ont déjà un engagement politique. C’est un cadre sain de parole, c’est quelque chose d’inédit dans la démocratie participative ou délibérative. Pour avoir commencé mon engagement dans une association d’éducation populaire, là de voir une application à cette échelle concrète, ça bouillonne en AG, le partage d’expériences, les discussions, c’est ça les Gilets jaunes. On s’allie à d’autres luttes. Je suis régulièrement dans les manifestations, ou dans d’autres actions en banlieue, je suis aussi à la « cabane jaune » place des Fêtes. Il y a un syndicat d’étudiants qui a été monté suite aux mobilisations lycéennes à Pantin. On dit que certains territoires de banlieue sont dépolitisés mais c’est juste que ça prend des modes d’actions différents.

Après, dans chaque mouvement, il y a des comportements xénophobes, des contradictions internes, mais de ce que je vois avec les Gilets jaunes, c’est à la marge. Pendant longtemps on nous a dit que les classes rurales mobilisées étaient des gens préoccupés par l’insécurité culturelle, par la peur de l’autre, la peur de l’immigré alors qu’on voit que c’est vraiment à la marge dans les revendications. Il y a eu deux ou trois revendications de certaines AG sur les migrants mais on parle plus des problèmes sociaux.

Il y a aussi une difficulté à intégrer certaines parties de la population. On le voit sur Pantin. Dans le mouvement, il y a des personnes racisées, issues de l’immigration, mais qui ont déjà un bagage militant. Ce sont surtout des gens qui ont fait la Marche pour l’égalité qui ont maintenant 55-60 ans. On travaille avec le comité Adama créé par la sœur d’Adama Traoré qui, dès le début, a suscité des rencontres avec les Gilets jaunes de Rungis, de Saint-Nazaire et des militants anti-racistes. Ça crée des jonctions mais c’est encore très parcellaire. Il ne faut pas se mentir, les quartiers populaires n’ont pas trop intégré le mouvement. Ça se comprend aussi parce que s’il y avait eu des jeunes des quartiers populaires au moment des violences sur les Champs-Élysées, cela aurait été un désastre pour eux.

 

Ahmed : Moi justement, je dis aux jeunes des quartiers : n’y allez pas. On va vous filmer, on va prendre des photos et on va dire : « voilà, c’est les mêmes, ce sont les jeunes de banlieue, les Arabes, les Noirs, les sauvages ».

 

Louiza (18 ans, Aubervilliers) : Dans ce mouvement-là, les classes populaires sont peu présentes. Globalement dans les banlieues, il n’y a pas de ronds-points bloqués. À Aubervilliers, il n’y en a pas, à La Courneuve non plus. Pour moi, ce sont plutôt les espaces ruraux. On pourrait se poser la question : pourquoi n’y a-t-il pas de mobilisation dans les banlieues ? Le niveau de chômage est élevé, le niveau de vie faible, on pourrait penser que les classes populaires sont les plus touchées. Après pour ce qui est du carburant, les espaces ruraux sont plus touchés : pour aller travailler, les gens ont besoin de leur voiture. Nous, on habite dans les villes et la plupart du temps, on est proche de notre lieu de travail. Quant aux jeunes des classes populaires, s’ils avaient été présents, leur image se serait encore détériorée. Avec tous les stéréotypes, les préjugés qu’on peut avoir sur nous, ça aurait vite dérivé et on nous aurait assimilés aux casseurs.

 

Karima (20 ans, Corbeil-Essonnes) : Moi je ne suis pas engagée. Et je pourrais m’engager s’il y a quelque chose qui m’intéresse ou quoi. Mais les Gilets jaunes, non. J’ai l’impression que les banlieues, elles ne sont pas trop Gilets jaunes. Ça a été tellement repris par les partis politiques que non, je ne veux pas m’engager. Par contre, je comprends leur combat. Et franchement je suis bien contente. Car il y aurait des gens de banlieue dans les manifestations, on aurait mis la faute sur eux. Quand je regarde les manifestations à la télé et que je ne vois pas d’Arabes, je suis contente. Après je ne sais pas s’il faut être concerné pour s’engager. Pour les Gilets jaunes, on peut gagner très bien sa vie et se sentir concerné.

 

Jérémy (18 ans, Vert-Saint-Denis) : Moi aussi, je suis pour et contre. Pour, parce que c’est bien que ça sorte à un moment et les problèmes s’accumulent depuis plusieurs années. Ce mouvement leur a permis de s’exprimer à leur façon mais ça va aussi trop loin. Je n’étais pas content quand j’ai vu la dégradation de l’Arc de triomphe à la télé. Ce sont les services publics qui réparent derrière. Il y a eu des barrières de travaux qui ont été utilisées, des voitures renversées, tout ça à cause d’intrus, principalement des casseurs.

 

Hachimia (19 ans, Pantin) : Je suis entourée de personnes qui ne sont pas forcément d’accord avec les Gilets jaunes, et cela ne m’aide pas à me sentir concernée. Les gens de banlieue, on ne les voit pas dans les Gilets jaunes. Au début c’était le carburant, mais ma situation et celle de ceux qui m’entourent font que nous n’étions pas très sensibilisés à cette question ; je n’ai pas de permis, je n’ai pas de voiture, je vais au boulot en transports. Mais par contre Ahmed, tu dis aux jeunes de ne pas y aller et je trouve ça dommage. Ils ont déjà une image négative des banlieues donc autant y aller, faire des reportages, des vidéos et donner la parole à ces jeunes du 9-3 qui vont dans les Gilets jaunes. Il y a différentes manières de faire en sorte que l’image change et c’est dommage de dire aux gens de ne pas y aller. Ma seule manière de me tenir au courant et de voir autre chose que les chaînes d’information ce sont les médias courts qui donnent un autre point de vue sur l’action.

 

Lisa-Marie (17 ans, Suresnes) : Moi, c’est un peu pareil, je suis plus venue ici pour essayer de comprendre pourquoi il y a autant de manifestations car je ne me sens pas concernée personnellement. En fait, je ne vois pas ce que je peux faire. Je suis surtout là pour entendre vos avis. Je suis plus perdue qu’autre chose en fait.