Les mots

Violence

On ne naît pas violent, on le devient

Mamadou Doucara
Directeur de l'Espace Nathalie Sarraute, Paris 18e

« Pour moi, tout ce qui crée de la frustration chez les jeunes amène la violence, que ce soit les questions identitaires, l’échec scolaire, les conditions socio-économiques ou le sentiment d’exclusion. »

Des violences, on n’a que ça !

Il y a les violences qu’expriment les jeunes, mais il y a aussi toutes les violences des institutions : quand un jeune vient participer à l’organisation de la fête du quartier et qu’on lui dit « tu viens pour ton morceau de rap ? », on le renvoie à un rôle auquel il ne s’identifie pas forcément. Ou quand des gamins organisent un barbecue sur l’esplanade et que les voisins appellent la police au lieu de venir leur parler. La police arrive et les met contre le mur : c’est super violent ça !

Je crois que personne ne naît violent, on le devient. Pour moi, tout ce qui crée de la frustration chez les jeunes amène la violence, que ce soit les questions identitaires, l’échec scolaire, les conditions socio-économiques ou le sentiment d’exclusion.

Les rixes : une violence pour exprimer son pouvoir ?

À Paris, plus de 200 rixes ont éclaté entre 2016 et 2018 et huit jeunes y ont trouvé la mort. Les jeunes de différents arrondissements du nord de la ville s’affrontent sur l’esplanade Nathalie Sarraute, dans le 18e arrondissement, espace emblématique du renouvellement urbain et de la gentrification du quartier.

À force de rencontrer les jeunes avant, pendant ou après l’acte violent, je me rends compte qu’ils ne sont pas méchants en réalité. Mais alors qu’est-ce qui les motive ? Quelle est la part de plaisir qu’ils trouvent à faire des rixes qui regroupent parfois jusqu’à 80 personnes ? Pour moi il y a beaucoup d’éléments explicatifs.

D’abord, chaque jeune ne rentre pas pour les mêmes motivations dans une rixe. Il y a des espèces de leaders dans chaque groupe bien sûr. Le leader, il contrôle les autres en fait : « c’est moi le leader, c’est moi qui vous mène ». On essaie de travailler avec eux pour qu’ils deviennent des leaders positifs. Mais il y a aussi ceux qui font ça par loyauté, parce qu’ils sont très proches des leaders, par loyauté ils ne peuvent pas se défaire de la rixe. Des gamins m’ont dit un jour : « Mamadou, j’ai pas le choix ». Ils ne peuvent pas faire autrement, sinon ils vont être traités de bouffons. Il y a les suiveurs, ceux qui suivent parce qu’ils veulent faire partie d’un groupe. Et puis il y a ceux qui prennent ça comme un héritage. La rivalité entre quartiers c’est comme un héritage, les grands frères se tapaient déjà dessus.

Ici dans le 18e on a eu une recrudescence des violences à la livraison de l’esplanade Nathalie Sarraute. Et je me dis qu’il y a peut-être un lien à faire entre la gentrification sur notre territoire et cette violence. Certains disaient depuis leurs fauteuils à l’Hôtel de ville que c’était une question de trafic de drogue. Je leur disais : « mais des trafics de rien du tout ! Là c’est des gamins, la plupart sont scolarisés, il n’y a pas de trafic de drogue derrière ! ». Il faut arrêter de raconter tout et n’importe quoi, pour eux dès qu’il y a des bagarres c’est du deal, c’est du trafic, etc. C’est trop facile de dire ça.

En réalité, cette violence permet quelque part d’avoir du pouvoir. Le pouvoir de nuire, le pouvoir de se montrer, de dominer l’autre. Je pense qu’il y a cette question-là, celle de pouvoir contrôler quelque chose. Quand tu es en échec partout, peut-être qu’en devenant violent c’est un des rares moments où tu réussis quelque chose. Parce qu’aujourd’hui les rixes c’est quoi ? C’est l’humiliation de l’autre, c’est les réseaux sociaux, c’est : on se bat, on met à terre, on se filme, et on envoie ça sur les réseaux sociaux. Donc quelque part c’est montrer son pouvoir.