Les mots

Sport

Le sport, un moyen de gommer les différences durant un temps

Jeanne Demoulin
Sciences de l'éducation
Hélène Nessi
Urbanisme et aménagement

Le sport représente un élément structurant des histoires de vie des jeunes.

Le sport tient une place importante durant la période de la jeunesse. Si sa pratique n’est pas propre aux jeunes des quartiers populaires, le sport constitue pour eux un lieu de socialisation majeur dans et hors du quartier. Il représente un élément structurant des histoires de vie des jeunes. La majorité d’entre eux a fait du sport durant toute son enfance, passant d’une pratique et d’un club à l’autre, au gré des opportunités et des associations sportives présentes à proximité du domicile. Ils sont nombreux à parler de leurs entraîneurs, à leur témoigner leur reconnaissance en raison du rôle éducatif central qu’ils ont pu jouer.

Des pratiques sportives dépendantes de l’offre locale

Si le foot est le sport le plus largement pratiqué par les garçons, il est loin d’être le seul à avoir été expérimenté et les filles ont également pratiqué et pratiquent de nombreux sports. Les clubs et les terrains de sport sont de fait des lieux repères dans le quartier et dans la ville, dans lesquels les jeunes ont passé beaucoup de temps, ce dont témoigne la multitude de capsules vidéos produites au cours de la recherche sur un équipement sportif. Les jeunes ont ainsi expérimenté une diversité de sports durant leur enfance et leur adolescence. Un jeune de Pantin, qui a fait du foot, de la boxe, du basket, de la course à pied et de la musculation, se qualifie ainsi de « multisports ». Les sports évoqués restent néanmoins des sports populaires : l’équitation, le tennis ou le golf sont par exemple absents tandis que la boxe, le basket, le tennis de table, la natation ou le judo sont très souvent cités. Les jeunes sont de fait dépendants de l’offre locale (dans le cadre scolaire comme périscolaire), des moyens financiers de leurs parents et sont également conduits à considérer que certains sports ne sont pas pour eux compte tenu du coût de l’équipement et de l’activité. La pratique sportive faiblit avec l’âge, ce qui n’est pas spécifique aux jeunes des quartiers populaires. À partir du lycée, et en particulier l’année du bac ou une fois entrés en études supérieures, et à l’exception notable de ceux inscrits en STAPS, les jeunes sont moins nombreux à pratiquer un sport en club, ou dans l’espace public. Certains l’expliquent par une diminution de leur intérêt pour la discipline pratiquée, d’autres par la nécessité d’arrêter l’activité physique pour avoir le temps de se consacrer à leurs études. Pour autant, ceux qui ne pratiquent plus du tout sont peu nombreux.

Le sport, un outil de réassurance, d’apprentissage, de discipline, de transmission et de prise de responsabilités

Sans contradiction avec les représentations dominantes, le sport est perçu comme un moyen de gagner en vitalité, de garantir une bonne santé physique et mentale mais aussi de prendre confiance en soi. Il apparaît de manière sinon spécifique au moins accentuée par rapport à d’autres catégories sociales comme permettant un défoulement nécessaire pour celles et ceux confronté·es à des histoires de vie compliquées, ou à un environnement familial et scolaire difficile. Faire du sport devient alors un outil de réassurance, de revalorisation, d’apprentissage, de discipline, de transmission et de prise de responsabilités. Le sport permet également de sortir de son quartier, de rencontrer d’autres personnes, de faire « quelque chose » plutôt que « rien ». Les compétitions, les tournois organisés par les clubs ou les tournois informels sont autant d’occasions de se déplacer en Île-de-France, en France voire à l’étranger, ce qui permet d’élargir l’espace vécu et de gagner en autonomie.

Des pratiques sportives structurées par le genre

Certains jeunes présentent le sport comme un moyen de gommer durant un temps les différences sociales, ethniques ou religieuses, la performance sportive constituant l’unique indicateur de différenciation. Toutefois, la distinction entre les sexes, loin d’être effacée dans le sport, en structure au contraire fortement les pratiques. Comme ailleurs, s’il arrive qu’un garçon fasse de la danse et une fille du foot, certains sports restent d’abord des sports « de garçon » et d’autres des sports « de fille ». Les filles préfèrent généralement pratiquer entre elles. Les garçons sont aussi majoritaires à exprimer, quelquefois violemment, leur refus de se mélanger avec les filles, et tiennent parfois des propos discriminants à leur égard. En club, il arrive néanmoins que les filles et les garçons soient contraints de se mélanger. Une jeune de Pantin, qui pratiquait le judo petite, raconte s’être retrouvée à combattre uniquement contre des garçons lors d’une compétition, en raison de son poids. Elle a gagné la compétition mais explique qu’en tant que fille, elle ne se sentait pas à sa place, en haut du podium, entourée par des garçons à des niveaux inférieurs. Ce souvenir demeure néanmoins pour elle la preuve que les filles peuvent battre les garçons. De même, une jeune de Corbeil-Essonnes explique qu’elle faisait de la boxe anglaise avec une amie, dans un club où elles étaient les seules filles. Quand son amie a arrêté la boxe, elle a fait de même car elle ne voulait pas se retrouver seule face aux garçons. Dans les espaces publics, le sport reste très majoritairement masculin. Les filles pratiquent à l’abri des regards, dans des clubs mais aussi dans des « salles ». Une jeune de Nanterre, musulmane, explique qu’elle fait du sport dans une salle en dehors de Nanterre où elle se sent à l’aise car elle y est anonyme : elle n’y croise personne de son quartier et les musulmans y sont peu nombreux.

Le sport, un tiers lieu en dehors de l’école et de la famille

À travers le sport (pratique individuelle ou collective, encadrée ou non, publique ou privée) se joue aussi le rapport aux institutions. Le sport est un tiers lieu qui n’est ni l’école ni la famille. Certains entraîneurs accompagnent les jeunes et les suivent. Ils les intègrent également à la participation de la vie du club. Ainsi, il n’est pas rare que les joueurs les plus grands entraînent les équipes les plus jeunes et qu’ils soient recrutés pour être arbitres. Entre les deux ou trois entraînements par semaine, les matchs le week-end, les entraînements des plus jeunes et les arbitrages, le club est alors un lieu où les jeunes passent beaucoup de temps.

Le club, une structure de formation à la citoyenneté

Enfin, les clubs de sport ont une place centrale dans la vie municipale. Souvent mobilisés pour organiser des événements, ils participent ainsi à la vie locale. Par exemple, l’organisation de matchs de foot entre quartiers est l’occasion pour les jeunes de se retrouver dans un autre cadre et permet d’atténuer les tensions ou encore de récolter des fonds pour organiser des projets. Enfin, les présidents de clubs ou entraîneurs sont souvent des figures emblématiques du territoire local, engagés pour la société civile, parfois politisés. Il n’est pas rare de les retrouver sur les listes électorales, permettant à ces dernières d’acquérir l’adhésion de nombreux membres. Le club est ainsi une structure de formation à la citoyenneté, une ouverture à différentes formes d’engagements et de politisation.