Les mots

Confinement

Faire avec la crise sanitaire

Jeanne Demoulin
Sciences de l'éducation

« Ce sont avant tout la famille, la religion et la solidarité qui apparaissent comme les trois ressources structurantes, permettant de se "recentrer" sur les choses essentielles de la vie. »

La crise sanitaire est arrivée en mars 2020, alors que le présent ouvrage était en cours d’écriture. La première période de confinement a constitué un révélateur pour confirmer et approfondir un ensemble de résultats issus de cette recherche.

En premier lieu, cette crise sanitaire a été l’occasion de pointer à nouveau la stigmatisation des quartiers populaires et plus particulièrement des jeunes. Soupçonnés de ne pas respecter les règles sanitaires, ils ont fait l’objet de toute l’attention politique au moment où les médias découvraient l’importance vitale de professions peu reconnues et remerciaient les livreurs, les éboueurs, les caissières ou les aides soignantes, emplois bien souvent occupés par les habitants et par ces mêmes jeunes des quartiers populaires. Ils ont aussi vécu un contrôle policier accentué qui a donné lieu à des explosions de violence ponctuelles, comme à Villeneuve-la-Garenne où l’accident d’un jeune motard dans une collision impliquant la police a été à la source d’échauffourées. Ce paradoxe n’a pas échappé aux jeunes de la recherche et a conforté une prise de distance critique des grands canaux d’information et une démarche de construction de leur information par le croisement de différents médias et réseaux sociaux numériques.

Au travail ! Les jeunes des quartiers populaires en première ligne

Les classes populaires, par la nature et le statut de leurs emplois, ont en effet été davantage mobilisées que les autres pendant le confinement pour assurer des fonctions de première nécessité. Parmi elles, les jeunes ont été d’autant plus présents que leur âge ne les plaçait pas a priori parmi les populations « à risques », mais aussi parce qu’ils constituent une main-d’œuvre flexible, soumise à l’intérim, aux contrats courts, et à l’ubérisation (chauffeurs, livreurs…). Ont été ainsi mises en évidence la dégradation des conditions de travail et la multiplication des formes de précarisation qui touchent notamment les jeunes arrivant sur le marché du travail et qui contribuent à une fragmentation des classes populaires en termes de statuts d’emplois et de conditions de vie. Le confinement a pu être l’occasion pour quelques-un·es de trouver un « petit boulot », la plupart du temps non protégé, ou d’augmenter leur temps de travail pour améliorer leurs revenus. Une étudiante de Clichy-sous-Bois a ainsi vu le travail de caissière qu’elle occupait à temps partiel devenir un travail à temps plein. Mais ces « opportunités » se sont le plus souvent accompagnées d’une dégradation de conditions de travail déjà difficiles. Une jeune de Villeneuve-la-Garenne, caissière également, décrit un rythme de travail intense, sept heures sans pause, et le harcèlement qu’elle a subi par son patron la sommant de venir travailler alors qu’elle était en arrêt maladie. À l’inverse, les animateur·rices scolaires et de centres de loisirs ou employé·es de la restauration, autres petits boulots exercés par les jeunes, ont été mis·es au chômage partiel au moins au début du confinement. Plusieurs ont ainsi dû faire face à la perte sèche de leurs revenus principaux ou complémentaires (baby-sitting notamment).

 

Le confinement a permis de « se rapprocher » de ses proches, de faire le point sur sa vie et prendre des décisions pour l’avenir.

 

Le travail « à la ville » s’est doublé du travail « à la maison » : les jeunes, majoritairement les filles, sont nombreux·ses à avoir ­assuré une partie du travail de care. Cela a pu s’inscrire dans la continuité des tâches à accomplir habituellement (tâches ménagères, soins aux plus âgés et aux plus jeunes) mais s’est pour d’autres alourdi durant cette période. Nombre d’entre elles·eux comptent parmi leurs parents des personnes « à risques », malades chroniques ou en situation de handicap, mais aussi des parents qui sont tombés malades du Covid-19, dont il·elles ont dû s’occuper à temps plein. La crise a ainsi mis en lumière et accentué les fragilités sanitaires au sein des familles. Beaucoup ont choisi de se charger eux-mêmes des courses pour protéger leurs parents des risques encourus lors des sorties, et de sortir le moins possible. Parmi celles et ceux qui devaient sortir pour leur travail ou pour participer à des actions de solidarité, certain·es ont fait le choix drastique de s’installer dans un autre logement le temps du confinement.

La précarisation dans les études a fonctionné en miroir de la précarisation dans l’emploi, touchant les collégien·nes et les lycéen·nes mais aussi les étudiant·es concerné·es par la fermeture des établissements d’enseignement et la mise en place de la dite « continuité pédagogique ». Le confinement a provoqué pour certain·es l’arrêt des études, remplacées par un emploi rémunérateur ; la reprise, repoussée à un temps indéfini, devient de fait aléatoire. Pour la plupart de celles et ceux qui continuent, le temps consacré aux études semble très limité ; elles et ils invoquent les difficultés à se concentrer, l’absence d’informations des enseignant·es ou au contraire le trop-plein de mails. L’adaptation des examens, qui a entraîné par endroits la suppression des épreuves pratiques sur lesquelles comptent nombre d’enfants des quartiers populaires pour obtenir leur année, a généré de l’angoisse puis des échecs. L’incertitude liée à la sélection généralisée dans le supérieur déjà forte pour celles et ceux qui attendent les résultats de Parcoursup ou une réponse pour le master désiré a été renforcée dans ce contexte.

La famille, la religion, la solidarité : des ressources pour faire face

Pour faire face à ces difficultés, les jeunes ont fait appel à une diversité de ressources. Les tactiques mises en place dans leur quotidien habituel, comme la débrouille, le bricolage, l’humour, l’utilisation intensive des réseaux sociaux mais aussi l’optimisme leur ont permis de surmonter certains aspects du confinement. Mais ce sont avant tout la famille, la religion et la solidarité qui apparaissent comme les trois ressources structurantes, permettant de se « recentrer » sur les choses essentielles de la vie, soit en se refermant dans un cocon protecteur, soit en continuant des actions d’ouverture aux autres.

D’abord, le temps passé en famille a fait l’objet d’une attention extraordinaire, confirmant son rôle de protection et de solidarité. Le confinement a permis de « se rapprocher » de ses proches, de faire le point sur sa vie et prendre des décisions pour l’avenir.

Pour certain·es, la religion a constitué une ressource, en particulier pour les musulmans, confession la plus répandue parmi les jeunes de cette recherche. L’épreuve de la pandémie et du confinement a alors justifié une intensification de la pratique religieuse, par le retour aux textes, les prières en famille, d’autant que le ramadan est survenu durant le confinement.

Enfin, pour les jeunes engagé·es dans des actions de solidarité, le confinement a produit une démultiplication de l’activité, caractérisée par une continuité mais aussi par une forme d’urgence dans l’engagement. À Pantin, Clichy et Suresnes en particulier, où les initiatives locales ont été multiples, intenses et médiatisées, des jeunes ont trouvé dans l’organisation de la collecte et la distribution de denrées de première nécessité une ressource pour faire face à l’absence de réaction de la puissance publique et tenter de construire un sens collectif à ce moment partagé. Se sont aussi développées des initiatives individuelles comme celle de ce jeune Clichois, étudiant en classe préparatoire de chirurgie dentaire, engagé aux côtés du personnel soignant et délaissant de fait ses études, « pour agir », en parant au plus urgent. De nombreux jeunes ont contribué à des formes de solidarité de voisinage, comme la préparation de repas pour des personnes en difficulté dans leur cage d’escalier, la fabrication de masques ou la prise en charge des courses de personnes âgées.

Le confinement a aussi mis en relief la diversité des situations des jeunes en termes d’habitat, de revenus, de stabilité familiale sur un fond commun de visibilisation et d’accentuation des inégalités. Quelques-uns ont pour un temps espéré que la crise aboutirait à une reconnaissance et à une revalorisation des habitant·es des quartiers populaires, parce qu’ils et elles avaient montré que les emplois qu’ils et elles occupent sont essentiels. Mais les mois qui ont suivi ont donné raison à ceux qui, moins confiant·es, prévoyaient que tout cela serait bien vite oublié.

Pendant et après le confinement, l’incertitude sur « l’après » est partagée. Face à ce brouillage de l’avenir, l’urgence de la situation prime, et la nécessité de faire face au quotidien semble empêcher de se projeter dans un futur individuel et collectif. Ce que craignent majoritairement les jeunes, c’est que le monde « d’après » ne soit marqué par la distanciation physique et la méfiance des autres, vus comme de potentiel·les malades et contaminateur·rices. À quelques rares exceptions près, la crise écologique ne constitue pas un sujet d’inquiétude ou de mobilisation. En revanche, l’analyse critique que plusieurs font des décisions prises par le gouvernement et l’attitude de la police dans les quartiers populaires durant la crise, le sentiment accentué d’inégalité et d’injustice, ne peuvent qu’augurer un renforcement de la méfiance envers les institutions.

Note : Ce texte est une version remaniée de l’article paru dans la revue en ligne Métropolitiques : Jeanne Demoulin et Collectif Pop-Part, « Expériences du confinement de jeunes de quartiers populaires franciliens », Métropolitiques, 11 janvier 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Experiences-du-confinement-de-jeunes-de-quartiers-populaires-franciliens.html.