Les mots

Études

Le grand regret de ma vie, c’est mes études

Manchita Wassa
23 ans, Pantin

Une jeune parle de son regret de ne pas avoir fait les études qu'elle voulait.

En sortant du lycée, j’ai voulu vraiment faire très vite, terminer rapidement mes études, me mettre dans une branche. Alors, j’ai essayé de faire quelque chose d’assez général. Je me suis dit : « Oh… politiques publiques, voilà, je pourrai faire ça un peu partout ». J’ai fait une licence d’administration publique, option politiques publiques. Je voulais passer les concours d’accès aux instituts régionaux d’administration. Finalement, j’ai décidé que je n’allais pas les passer. En fait, plus je montais, moins il y avait de Noirs, plus j’ai pensé que ça allait être difficile, que j’allais devoir fournir des efforts. J’ai eu des témoignages de personnes qui ont passé le concours. À l’écrit, c’est anonyme, ça s’est très bien passé. Mais une fois à l’oral, tu sens que tu déranges, que tu n’as pas trop ta place. J’ai eu des retours hallucinants. Tu te dis que ce n’est que sur les compétences, mais non, il y a ta tête, aussi. Ça a participé à me dissuader. Je me suis dit : « Ce n’est pas grave, fais autre chose ».

Maintenant, je suis en master 2 Gestion des territoires et développement local. Avec ça, je pourrai aller dans plein de secteurs, c’est varié. En ce moment, je suis en service civique à la mairie de Paris, sur l’accessibilité et le Plan Climat. Pour l’instant, ça me plaît mais… Le grand regret de ma vie, c’est mes études. Je me rends compte que je ne suis pas très épanouie. Je ne sais pas s’il y a quelque chose qui me plaît en fait. J’aurais voulu faire des études de sport. Mais on m’a dit : « Tu sors de L, qu’est-ce que tu veux faire en sport ? En plus on ne va pas t’accepter… ». Et moi j’ai écouté. Je n’aurais pas dû. J’aurais aussi voulu faire des études de maquillage, parce que je crois que je suis passionnée par ça, vraiment. Mais, encore une fois, le regard des autres… « Oh tu fais des études de maquillage… » Souvent, on assimile les maquilleuses à des personnes bêtes, qui n’ont rien dans la caboche… Là je me dis : « Est-ce que je ne pourrais pas faire ça à côté ? ». Vu que c’est une passion, je pourrais faire ça en plus, et faire, je ne sais pas, des études de sport… Mais bon, c’est trop tard.

Après le bac, je me disais : « Mais fais vite ! À 23 ans, tu as fini ton M2, tu gagnes assez bien ta vie… Tu vas t’acheter ta Range Rover ». Mais non, non, pas du tout. Mais c’est pas du tout ça. Dans ma famille, ils pensent qu’en sortant du master je vais gagner 4 000 euros, que je serai cheffe de projet je ne sais où, mais si vous saviez… Si seulement… Dans ma famille, on est treize frères et sœurs. Je suis la treizième, et la seule à avoir fait des études supérieures. Dès qu’il y a un truc, ils me demandent : « qu’est-ce que t’en penses ? Est-ce que tu peux me faire ça ? ». Un CV par exemple, bien, joli, en bonne et due forme… « Est-ce que tu peux me faire mon CV ? J’ai vu que tu as fait le CV de untel. Tu peux faire le mien ? ». Ils me mettent trop sur un piédestal. J’en ai marre de passer pour l’intello de la famille.

Là, j’ai passé un entretien pour la Sports Management School. C’est une école de commerce spécialisée dans le sport. J’ai été prise. Ils m’ont dit : « Bon, vous n’avez pas un parcours sportif, vous n’avez pas fait d’études de sport, mais on sent votre motivation. Et puis vous avez fait quand même beaucoup de sport donc on sait que ce n’est pas un milieu qui vous est complètement étranger ». J’aimerais travailler dans des clubs ou dans des fédérations ou encore pour des marques de sport, genre Nike, Puma, ce genre de choses. Je serais dans la communication, ou alors dans l’événementiel. J’aime beaucoup, beaucoup ça. Mais l’année dans cette école coûte 15 000 euros je crois, donc la solution ce serait de trouver une alternance. J’ai jusqu’à octobre pour trouver une entreprise. C’est trop compliqué. Quelle triste vie. En fait, je suis tellement dégoûtée que je n’ai pas envie de discuter de ça avec les gens. Parce que ça me rend trop triste.

Mais mon projet professionnel, mon but ultime, ce serait d’ouvrir mon entreprise, une entreprise de fabrication de vêtements au Mali. Le Mali produit énormément de coton et il n’est pas tellement utilisé, on ne sait pas trop quoi en faire. C’est du coton de très bonne qualité, et tout le monde a besoin de coton. Donc je pense que c’est quelque chose à prendre. Mon entreprise favoriserait l’emploi là-bas. Vu que je suis très famille, je pense que j’aurais du mal à vivre complètement à l’étranger et ne pas les voir du tout. L’idéal, ce serait de faire la navette.