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Origines

Mes origines

Atelier d'écriture
Extraits

Les jeunes nous parlent de leurs origines maternelles et paternelles. 

Wendy (23 ans, étudiante, Suresnes) : Ce masque africain, quand j’étais petite, je ne comprenais pas ce que c’était. Déjà, je ne trouvais pas ça très beau. Quand on est petit, on voit juste un bout de bois avec trois traits dessus et on se demande pourquoi ils gardent ça, c’est bizarre. Mais plus tard, en grandissant, on commence à se poser des questions sur nos origines. Moi ma mère me répétait tout le temps : « on est français, on est français, c’est tout ». On ne pouvait pas gratter ailleurs. Donc je suis allée demander à ma grand-mère. Elle m’a montré un grand arbre généalogique. En fait, ce masque africain appartient aux arrières, arrières, arrières, arrières… En fait, on vient d’une famille africaine, emmenée dans les îles, qui ont été esclaves, qui ont fait des métisses, qui sont allés ensuite avec des personnes blanches et qui ont donné au final des Blancs. C’est une de mes tantes qui l’a su car une de ses filles a une maladie de la peau qui fait des tâches en réaction au soleil. C’est une maladie génétique typique des Noirs. Ce ne sont que les personnes qui ont du sang africain qui peuvent avoir ça. Et moi je l’ai aussi. Donc en fait, on ne vient pas du tout d’une famille blanche. On n’a pas du tout des origines françaises. Après mes origines, je ne les connais pas vraiment. Celui que je pensais être mon grand-père biologique ne l’est pas. Je l’ai appris en fouillant dans les cartons de ma grand-mère. En fait, le père biologique de ma mère est un Italien qui vivait en Afrique du Sud, qui faisait partie de la dynastie Ferrari. Quand ma grand-mère est tombée enceinte, ils lui ont donné un chèque et lui ont demandé de partir. Mon grand-père, je ne l’ai jamais connu donc. Il n’a pas supporté ça. Il était très jeune, il avait 19 ans quand c’est arrivé et il s’est suicidé trois ans après la naissance de ma mère. Ma mère a un vague souvenir de l’avoir croisé. Mon frère jumeau c’est le portrait craché de mon grand-père biologique mais en brun et les yeux marron. Les cheveux blonds et les yeux bleus qu’on a nous ce sont les siens. C’est assez drôle parce que ma grand-mère et ma mère m’emmenaient souvent chez une dame quand j’étais petite. Mais je ne savais pas qui était cette dame. Elle ne parlait pas français, elle ne parlait qu’italien. Ma grand-mère m’a à nouveau emmenée quand j’avais treize ans. Et j’ai vu une photo là-bas, ça m’a marqué je me suis dit : « oh on dirait mon frère ». Ma grand-mère m’a emmenée manger au restaurant ensuite et elle m’a dit que c’était normal, que c’était mon grand-père. Chez nous on a donc plein d’origines. Ma mère qui est athée, avec plein d’origines, elle est avec mon père qui est français. Le père de mon père, c’était quelqu’un de très catholique, pour l’Algérie française. Quand mes parents ont décidé de ne pas se marier avant d’avoir des enfants, ils ont coupé les ponts avec mes grands-parents paternels. On leur reparlait récemment, après la mort de mon grand-père. Mais là moi je n’ai plus du tout de nouvelles parce que le père de mon fils est Marocain-Tunisien et musulman… Donc ce n’est pas passé. Alors que du côté de mon autre grand-mère, il y a des Kabyles, des métisses, des Italiens, des Portugais… J’ai une histoire de famille un peu compliquée. Je ne sais pas exactement quand ils sont arrivés à Suresnes. C’était bien avant les cités-jardins. C’étaient encore des bidonvilles. Je sais que pendant la guerre de 39-45, mon arrière-grand-mère n’avait pas de mari, elle avait plein d’enfants de pères différents, comme ils n’arrivaient pas à savoir d’où elle venait, mais comme elle ressemblait physiquement à une personne juive on lui avait collé l’étoile jaune. Je sais qu’elle est décédée en camp de concentration. Mais dans ma famille il n’y a jamais eu de juif. Depuis ce jour-là, ses enfants sont restés à Suresnes et n’ont pas bougé.

 

Mélissa (23 ans, étudiante, Suresnes) : Mes deux parents sont nés à Santiago du Chili. Ma mère a un grand-père basque, espagnol. Mon père a de la famille en Argentine. Ma mère vivait dans un milieu très, très pauvre, où tout le monde devait travailler, même les enfants. De ce qu’elle me raconte c’était plutôt heureux. Il avait beau y avoir de la délinquance et de l’alcool autour d’eux… Ma mère a été excellente, elle a eu son bac à 16 ans. Elle a eu une bourse pour aller à l’université, donnée par le gouvernement de Salvador Allende. Elle est devenue éducatrice pour enfants. Elle a commencé dans une crèche sociale, qui appartenait au gouvernement. Et il y a eu le coup d’État. Sauf que ma mère, toute jeune, ne savait pas que ses collègues étaient contre le coup d’État de Pinochet. Elle s’est retrouvée au milieu d’une guerre civile, où elle devait travailler. Elle et les enfants ne savaient pas qu’au sous-sol il y avait des armes à feu. Plusieurs fois elle s’est faite torturer, sa vie a été mise en danger. Ma mère est chrétienne. Elle avait par miracle un ami qui était militaire et qui s’était retourné, qui était maintenant pour Pinochet. Il lui a dit secrètement pendant la messe qu’il fallait qu’elle parte : « ton nom a circulé ». Ils avaient le nom de ma mère. Bizarrement, en général, les noms qu’ils « avaient », les personnes n’existaient plus après. Donc ma mère a fait ses valises en trois jours, a laissé deux enfants, mon père et toute sa famille pour venir en France. Elle était triste mais tellement contente de venir en France, c’était son rêve depuis qu’elle était petite. Elle devait se faire discrète. Ma mère avait tellement peur, elle n’osait pas aller voir l’administration, donc elle est restée toute seule, à dormir dans les métros, elle était SDF. Elle a réussi à commencer à parler français, elle a fait des petits ménages. À l’époque il y avait des sous-titres français dans les programmes à la télé. Grâce à ça, elle a commencé à parler français. Deux ou trois ans après, elle a pu ramener mon père. Secret de famille, mes parents n’étaient pas officiellement mariés aux yeux de l’État chilien. Ma mère a envoyé une procuration là-bas. J’ai su que mon père, civilement, était marié avec ma tata. Ma tata s’est fait passer pour ma mère. On m’avait raconté que ma mère avait fait l’aller-retour express en un jour. Mon père, architecte au Chili, ouvrier en France. Il n’a eu aucune équivalence. Comme ma mère. Ils ont lutté. Ma mère a réussi à avoir une équivalence de son diplôme chilien. Elle travaillait dans des quartiers riches on va dire, chez des patrons, dans des chambres de bonne, chez des amis, dans le 16e, dans le 3e. Elle a finalement retrouvé une amie mexicaine qui habitait Puteaux. Quand mon père et ma grand-mère sont arrivés avec mes deux grands frères, mes parents ont conçu ma sœur, ils ont déménagé à Suresnes. Par chance, mon père est très habile de ses mains, il a pu construire un bel appartement. Je suis née à Suresnes, et mes parents ont fait tout ce chemin depuis le Chili. Mon grand frère a plus de 42 ans. Il se souvient très bien du Chili. On est Chiliens de cœur mais on se considère plus comme Français. Mes parents nous ont toujours inculqué ça. Mes parents sont retournés au Chili, mais on les avait fait disparaître de l’administration chilienne. Aux yeux de l’administration, ils étaient morts. Ma mère, parce qu’elle était dans le cercle très fermé de personnes résistantes, ils ont décidé de la faire disparaître. 

On est Chiliens de cœur mais on se considère plus comme Français. Mes parents nous ont toujours inculqué ça. […] Ils disent : « notre vie est ici, on est Français ».

Quand j’ai eu 18 ans, j’y suis retournée. C’est très dur en fait parce qu’on a énormément de famille, qui ne me connaît pas forcément, à part par les réseaux sociaux, et qui veut absolument me connaître, me faire un repas, un barbecue. Donc je n’ai pas visité le Chili en soi, mais j’ai visité la famille. La culture sud-américaine est très présente chez moi, la salsa, tout ce qui est culinaire. L’enfance de mes parents est là-bas, mais ils sont incapables de se voir à nouveau au Chili. Ils disent : « notre vie est ici, on est Français ».

 

Marko (20 ans, étudiant, Suresnes) : Mon père avait trois ans quand il est arrivé en France. Ma mère est venue dans les années 1990, elle a fui la guerre de l’ex-Yougoslavie. D’abord on a vécu dans le haut de Suresnes, et maintenant on habite ici. À Suresnes, on connait une famille, ce sont aussi nos voisins au Monténégro. Avec mon père, ce sont des copains d’enfance. C’est par cet intermédiaire que mes parents se sont rencontrés. On se connaît bien, on les voit souvent en vacances, même ici.

 

Ramy (18 ans, lycéen, Suresnes) : Mon père est d’origine égyptienne, ma mère est d’origine marocaine. Je ne sais pas en quelle année ils sont arrivés en France. Ils se sont rencontrés en France j’imagine, vu qu’ils ne se sont pas rencontrés dans l’avion ! J’ai une sœur jumelle, un demi-frère et une demi-sœur plus jeunes que moi. Je suis allé plein de fois au Maroc, mais jamais en Égypte. Mes grands-parents maternels sont morts, je ne les ai jamais connus. Tous les frères et sœurs de ma mère sont venus en France, sauf un qui est aveugle.

 

Samba (18 ans, lycéen, Suresnes) : Au Sénégal, la famille de mon père est une famille très respectée. Pour devenir un homme, avant, il fallait tuer un animal tout seul, un sanglier par exemple. Ma mère vient du Sénégal aussi, mais pas du même village. Mon père a dû faire quelque chose pour avoir ma mère, mais je ne sais plus quoi, parce qu’à ce qu’il paraît c’était la miss du village. Je suis déjà allé au Sénégal. Ils me traitent comme un roi alors que… Peut-être parce que je viens de France. Pour l’instant, je ne suis allé qu’une fois au Sénégal. Le village de ma mère, je n’y retournerai plus jamais : je me suis fait agresser par des singes sur le chemin pour y aller. J’avais 9 ans, j’ai eu peur. C’est bien de voir un autre pays, son pays. Il y a une île à côté du Sénégal, l’île de Gorée, elle est vraiment belle. Il y avait des esclaves sur cette île, ils les mettaient là avant de les emmener en Amérique. Mais je ne demande pas à mes parents leur histoire. Mes frères et sœurs viennent pour manger et dormir et voilà, ils ne demandent pas non plus. Mais ils vont plus souvent que moi au Sénégal.

 

Lisa-Marie (17 ans, lycéenne, Suresnes) : J’ai un demi-frère de 34 ans. Mon père a rencontré ma mère. Ensuite, au bout de dix ans, ils ont fini par nous avoir, mon frère jumeau et moi. Après, mes parents ont divorcé au bout de 23 ans de vie commune. Ensuite, ma mère a rencontré quelqu’un d’autre. Et au bout de trois-quatre ans, ils ont eu un enfant, mon demi-frère, qui a vingt mois. Mon beau-père est Camerounais. Ma mère vient d’Argenteuil et mon père de Chatou. Mon père habitait à côté de la famille de ma mère donc ils se voyaient souvent. Ils ont fini par se marier. Mes grands-parents paternels, je ne les ai pas connus. Du côté de mon grand-père maternel, il y a des origines allemandes. Je pense que c’est ça la seule histoire que je peux vous dire. La mère de mon grand-père a eu 9 enfants de 7 pères différents. Le dernier père a reconnu tous les enfants ; il était d’origine allemande. Ma grand-mère maternelle habite en Normandie. Mon grand-père paternel à Courbevoie. Mon père et ma mère ont emménagé à Suresnes après trois ans de vie commune. Donc je suis née à Suresnes. Mon père vit aujourd’hui dans le haut de Suresnes. Mon grand demi-frère a des enfants, il habite en Bretagne, je ne le vois pas souvent. Mais on essaye de se voir pendant les vacances d’été avec toute la famille réunie. Je pense que c’est l’histoire la moins intéressante du groupe.

 

Ayoub (27 ans, en situation d’emploi, Suresnes) : Je suis facteur à Courbevoie depuis cinq ans. Petit, on vivait dans un studio, pendant cinq ans, dans un tout petit studio. Ce n’était pas facile tous les jours. Ensuite on a déménagé aux Chênes. Mon père est cuisinier. Il est à la retraite depuis deux ans. Mon père a acheté une maison au Maroc. Il veut s’y installer. Il se sent mieux là-bas, car c’est là-bas qu’il est né. Il attend que ma mère soit à la retraite pour pouvoir partir tous les deux là-bas et nous laisser… À chaque fois, pour rire, mon père nous dit : « on va vous laisser seuls, comme ça, vous pourrez faire la fête ». Ma mère vient elle aussi du Maroc. J’ai une grande sœur et une petite sœur, je me retrouve un peu entre les deux. Mais j’ai un avantage c’est que j’ai ma chambre pour moi tout seul. Ma grande sœur travaille dans la banque, ma petite sœur dans les ressources humaines. On habite tous les trois chez mes parents. On essaye de mettre de côté avant de partir faire nos vies.

 

Smail (25 ans, en situation d’emploi, Suresnes) : J’ai toujours vécu aux Chênes. Mes deux parents sont Algériens, ils sont venus en France très tôt. J’ai trois grands frères et deux grandes sœurs. Je suis le dernier. Quand on était tous à la maison, ce n’était pas facile parce qu’il y avait beaucoup de monde, pas beaucoup de repos. Maintenant, il ne reste qu’une de mes sœurs, moi et ma mère. On a plus de place. Je peux avoir une chambre à moi. Mon père est décédé quand j’étais tout petit.

 

John (25 ans, en situation d’emploi, Suresnes) : Je suis animateur en centre de loisirs à Suresnes et j’ai pour projet de devenir professeur des écoles. J’ai toujours habité à Suresnes. Je suis le dernier de la famille, le seul à être né ici. On est originaires du Sri Lanka. Mes parents sont venus en France au début des années 1990. D’abord mon père. Parce qu’il y avait une guerre civile au Sri Lanka. C’est ce qui les a poussés à quitter le pays. Mon père est venu le premier en Europe. Il a laissé ma mère, mes deux grandes sœurs et mon grand frère. Ils se sont réfugiés en Inde du Sud, parce qu’ils parlent la même langue que nous là-bas et qu’il y avait de la famille de ma mère. Il y avait plein de camps de réfugiés. Mon père, en Europe, a travaillé un peu partout pendant trois-quatre ans, la plonge, le repassage… Il gagnait sa croûte. Il rassemblait l’argent pour faire venir sa famille en France. Au bout de trois ans, il a réussi à les faire venir. Je suis allé au Sri Lanka l’été dernier pour la première fois. Mes parents n’y sont pas allés. J’y suis allé avec mes frères et sœurs. Je me suis mis dans leur peau parce qu’ils me racontaient ce qui s’était passé. Depuis tout petit, j’entends leurs histoires, qu’à 8-9 ans ils devaient partir au milieu de la nuit, trois heures du matin, les coups de feu, les bombes. C’est particulier à 8-9 ans d’entendre ça, tu ne comprends pas trop. Les gens partaient clandestinement avec des barques depuis le Sri Lanka pour rejoindre l’Inde du Sud. On est allé à cet endroit de la plage d’où ils sont partis. Beaucoup de gens mourraient. Ils payaient ce voyage et tout le monde n’arrivait pas à destination. Ils ont de la chance d’être encore vivants, d’avoir pu arriver à bon port. Ils ont vu les gens mourir devant eux, les cris, les pleurs, la panique. Je me mettais à leur place. Je me dis que c’est quand même compliqué de vivre ça à 8-9 ans, que moi je suis quand même pépère ici. Quitter toute sa famille, ses amis, à cet âge-là c’est compliqué. Ma mère est réfugiée politique, elle n’a pas encore la nationalité française. Mon père a la nationalité française mais en fait il a peur d’aller au Sri Lanka. Il veut y aller avec ma mère. Mon père a vécu des choses très dures, il a vu des gens mourir devant lui. Il a peur d’y retourner tout seul.

Arbre généalogique - Aubervilliers

Arbre généalogique - Aubervilliers

Arbre généalogique réalisé lors d'un atelier à Aubervilliers.